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Lettres d’Italie – Pourquoi j’aime y vivre

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Depuis plusieurs mois notre grand reporter Alain Louyot vit en Italie après avoir parcouru le monde pour en raconter, en relater, et surtout en faire comprendre les soubresauts. Une idée est venue : pourquoi, quand le coeur lui en dirait, ne nous écrirait-il pas des lettres d'Italie ? Pour nous raconter ce pays similaire mais différent de la France. Voici la première de ses lettres. "Pourquoi j'aime vivre en Italie". Régalez-vous.

Stendhal LargeC'était un livre à la couverture gris-vert, à moitié décolorée par les ans. Édité en 1906 et agrémenté de quelque 200 gravures, il se présente en deux volumes : "Pompéi vie Publique" et "Pompéi vie privée". Et puis il y avait aussi, joliment relié en cuir bordeaux et se présentant également en deux tomes, "Voyage en Italie" de Hippolyte Taine, publié chez Hachette en 1866. Ou encore, parue en édition Pléiade en 1933, "La Chartreuse de Parme" de Stendhal, amoureux fou du Lac de Côme qui, sur ses rives enchanteresses, écrivait : " A quoi bon chercher le bonheur, il est sous mes yeux".

Dans l'imposante bibliothèque de mon père, médecin né à Nancy en 1899, ces quatre ouvrages étaient rangés sur l'une des étagères du bas. A portée de main de sa table de travail, mais aussi de son chevet car son lit, escamotable dans la bibliothèque, lui permettait de dormir, entre deux urgences, dans son bureau. Travailleur acharné, dévoué 24h sur 24 à ses patients qu'il ne faisait pas payer si leur condition ne leur permettait pas de s'acquitter du prix, alors pourtant très modique, d'une consultation, il ne prenait jamais de vacances. Alors quand un client était en retard à son rendez-vous et que le salon de l'appartement familial, faisant office, dans la journée, de salle d'attente, demeurait vide, le ''bon docteur" lorrain ouvrait un livre et rêvait aux temples de Vénus ou de Jupiter à Pompéi ou encore au château de Griante, à "ces lieux ravissants, et qui n'ont point de pareil au monde" si chers au jeune Fabrice Del Dongo.

Mon père est mort d'un cancer, à 67 ans, à Nancy, sans avoir eu le bonheur de visiter les ruines de Pompéi, sans même avoir eu la chance de se rendre, ne serait-ce qu'un week-end, dans cette Italie qu'il rêvait tant de connaitre un jour... Je n'avais que 18 ans au moment où il nous a quitté et j'ai retenu la leçon. Je voyagerais sans tarder pour connaitre les beautés de cette planète où nous ne faisons que passer.
Mon métier-passion de "grand reporter" m'aura, pendant près d'un demi-siècle, conduit à en ausculter les convulsions, à témoigner des épreuves et des tragédies endurées par ceux qui la peuplent. Mais bien rarement à admirer la magnificence de ses paysages, à découvrir la richesse, sous toutes les latitudes, de son inépuisable patrimoine culturel et artistique. Ainsi je me souviens de la question fort pertinente que m'avait posée au téléphone, en 1980, un de mes ainés journalistes des plus cultivés. "As-tu visité Sainte-Sophie ? Si tu ne l'as pas fait vas-y immédiatement ! " m'a-t-il interrompu tandis que je dictais à une sténo de la rédaction mon reportage sur le coup d'État militaire en Turquie.

A plus de 70 ans, voilà mon sac de reporter posé - mais non mon stylo - et ma curiosité, mon regard de journaliste, mon désir de savoir pour Liubov Ilchuk QZOwG2oaj4 Unsplashcomprendre et faire savoir sont toujours aussi vifs. Pas question de me limiter aux frontières de l'Hexagone. J'ai donc fait le choix de m'éloigner provisoirement de cet admirable Paris où je réside depuis mes vingt ans -et que je connais comme ma poche - pour n'y revenir que quelques semaines par an.  Désir pour un temps d'habiter "ailleurs" que dans cette capitale qui n'évolue pas toujours pour le meilleur à mes yeux, envie de prendre le temps pour m'imprégner de cet ailleurs, pour essayer de mieux connaitre ceux qui y vivent. La quête de cet "ailleurs" m'a conduit d'abord vers le Sud-Ouest, pour ces ciels océaniques et sa porte ouverte vers l'Espagne, puis l'appel de l'Italie qui remonte à l'enfance s'est imposé.
Des fenêtres de l'appartement familial à Nancy situé le long de la voie ferrée, je guettais chaque soir le passage du train Strasbourg-Vintimille. Et chaque sifflement de sa locomotive à vapeur était pour moi une injonction à y prendre place un jour, peut-être même, avec un peu de chance, à bord de ce magnifique wagon-restaurant bleu nuit dont j'apercevais, furtivement, les petites lampes à abat-jour éclairant les nappes apprêtées et fleuries pour le premier service.