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Laissez-vous gagner par le Tokyo Vice

Ernest Tokyo Vice

Le Japon fascine avec ses sushis, ses mangas, ses animes, son image entre tradition et modernité, de son monde kawaii aux productions les plus glauques. La culture japonaise est bien ancrée dans l’imaginaire collectif et ce n’est pas un hasard : le gouvernement japonais entretient une politique forte de soft power (entre persuasion, idéologie et publicité) pour mettre en avant ses intérêts à l’international baptisé « Cool Japan ». Mais ce qu’on voit moins, ce qui s’exporte moins à part dans les productions de genres : ce sont les informations sur le crime organisé et les mafias qui sont très intriquées dans la société japonaise.

Tout ce qui touche aux Yakuza est tabou. Les grands patrons du crime sont des chefs d’entreprise et il existe une vraie zone de flou sur ces sujets. C’est ce que va apprendre à ses dépens Jake Adelstein, jeune journaliste américain embauché dans l’un des plus grands quotidiens japonais, le Yomiuri Shinbun. L’expatrié volontaire va découvrir un monde caché terrible derrière ce Japon si attirant.

« Vous supprimez cet article, ou c’est vous qu’on supprimera. Et peut-être votre famille aussi. Mais on s’occupera de vous en premier, pour que vous appreniez quelque chose avant de mourir ».

Premier rédacteur étranger à livrer des scoops à la Une du Yomiuri Shinbun, Jake Adelstein va se spécialiser dans les crimes liés aux mafias japonaises. Il raconte dans ce texte, qui n’est pas une fiction, ses années passées comme journaliste jusqu’au moment où sa vie bascule, menacé de mort par l’une des grandes familles de Yakuza sur lequel il enquête.

Une enquête a-t-elle la valeur d’une vie ?

Dans ce livre de souvenirs, écrit avec un rythme de polar bien rythmé, on découvre son parcours de journaliste à travers son enquête qui va le plonger dans une spirale de morts et de drames. Un fil rouge qui lui permet de parler de la face cachée du Japon, de notre méconnaissance des Yakuza, du pouvoir limité de la police, des différences culturelles, de la diplomatie internationale, du fonctionnement de la presse, mais aussi de notre rapport à l’info.

Jake va loin, il baigne dans des milieux interlopes et découvre ses mauvais côtés, se vend pour des infos, commet des actions impardonnables avec en ligne de mire son enquête et ces obsessions. Pourtant dans ce texte de journaliste écrit comme une fiction, dans cette tradition anglo-saxonne de la creative non-fiction, il s’accroche à cette mise à nue de la vérité et ses conséquences.

Tokyo vice est un grand livre sur le sacrifice. Le sacrifice de soi, celui de sa famille, de son temps au service de son boulot. Le sacrifice de sa morale et de ses principes, de l’amitié ou de la confiance au service de la vérité (ou du moins de l’information). Est-ce qu’un suicide vaut pour une mise au placard après un article trop politique ? Est-ce que l’assassinat d’une amie par la mafia vaut une info ? Est-ce qu’une enquête à la valeur d’une vie ?

Glaçantes et inspirantes, ces réflexions résonnent particulièrement à l’heure des infos en continu, des lanceurs d’alerte condamnés, des lois liberticides sur la liberté d’informer, et des dossiers de corruptions compromettant des chefs d’État.

Un livre à lire en complément des fascinants Baltimore de David Simon aux USA ou Gomorra de Roberto Saviano en Italie, qui eux aussi se sont frottés à ces mafias qui sont plus proches d’hommes politiques que de gangsters au fond d’une ruelle. Une mini-série Tokyo vice serait en développement pour HBO Max après son succès international ; même si le livre n’a jamais été traduit au Japon, de peur des pressions mafieuses.

« Tokyo vice » de Jake Adelstein, éd. Marchialy/disponible en éd. poche chez Point

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