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A l’ombre des surhommes en muscles

Ernest Mag Amerique

Avec Monsieur Amérique (Séguier), premier roman virtuose, ciselé et envoûtant comme un diamant noir, Nicolas Chemla réussit un tour de force. Il parvient à nous harponner sur 600 pages autour d’un sujet dont on pensait se foutre royalement : le bodybuilding.

Par PAUL VACCA

Dans ce premier roman de Nicolas Chemla, il est question de corps sculptés, huilés, musculeux comme des architectures abstraites mais aussi de l’hubris d’hommes ivres de surpuissance et de gloire. Une plongée dans un monde aussi secret qu’effrayant, rutilant et inconnu, celui des monstres de foire olympiens, demi-dieux acharnés : les bodybuilders.

Monsieur Amérique, c’est le roman vrai – mais aussi le vrai roman – de Mike Mentzer qui entre 1975 et 1985 incarna aux Etats-Unis et sur les podiums du monde entier, l’homme idéal, avec la perfection des formes classiques. Il fut l’un des monstres sacrés de cette discipline qui s’invente alors : le bodybuilding. Mais lui a une autre ambition. Il rêve d’accoucher d’une surhumanité nouvelle autour d’une union inédite du corps et de l’esprit. Car Mike Mentzer c’est la fusion du corps et de l’esprit : bodybuilder, écrivain, théoricien et philosophe.

Nicolas Chemla nous raconte l’ascension d’un wonderkid né à Ephrata qui mû par une force physique et mentale se hissera sur les podiums. Mais sa trajectoire va croiser celle ascendante, irrésistible et carnassière, d’un autre surhomme, venu de son Autriche natale et qui porte un nom encore imprononçable à l’époque : Arnold Schwarzenegger. Une lutte de Titans. Pour quelles raisons obscures Arnold haïra-t-il Mike au point de provoquer sa perte ? Ils sont  encore des milliers à chercher à percer cette énigme. Car il était écrit que le rêve de Mike devait se briser.

Épique, tragique et d’une beauté ciselée.

C’est cette épopée tragique et visionnaire que Nicolas Chemla raconte dans un livre-Monde. Que dis-je, Univers. 600 pages virtuoses en parfaite adéquation avec son sujet, au style ciselé apollinien et porté par un furiae dionysiaque. Où le culturisme et la culture – c’est à dire les muscles et les neurones – montrent des accointances jusque là insoupçonnées. Avec des pages éclairantes, une érudition sous stéroïdes, sur l’alchimie des corps bien sûr, mais aussi sur l’architecture de Palm Springs, le psychédélisme, Aynd Rand, Mishima, 2001 l’Odyssée de l’Espace ou Wagner…).

Mais c’est aussi le roman du bodybuilding comme storytelling de soi. La sombre odyssée d’un anti-héros dont les rêves trop purs se retrouvent broyés sous le poids de la fonte, des ego surpuissants et des machines à dollars.

Epique et tragique, Monsieur Amérique renoue avec la charge narrative et charnelle des films du Nouvel Hollywood : celle de l’éblouissement du rêve américain et du crépuscule qu’il porte en lui. Il a la beauté ciselée et envoûtante d’un diamant noir.

Monsieur Amérique de Nicolas Chemla (Séguier). Retrouvez ici l’entretien de l’auteur avec Paul Vacca.

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