Le monde de la nuit associé au monde littéraire. Forcément festif et joyeux. Ernest a envoyé sa reporter de choc arpenter la Nuit de la lecture à Paris. Reportage.
Par Ingrid Zerbib
Pile, je reste sous ma couverture en polaire contre le radiateur à regarder Garou. Face, je sors affronter la pluie parisienne et côtoyer des livres, quitte à croiser le loup-garou. Je fais face. Ce samedi soir, le 20 janvier, c’est la deuxième édition de la Nuit de la lecture, initiée par le Ministère de la Culture et le Syndicat de la Librairie française : librairies et bibliothèques sont ouvertes jusque tard et proposent des animations partout en France. Parka, capuche, carnet, crayon, j’arpente les rues de mon arrondissement, le XVème à pied et en bus.
Première escale : la bibliothèque Gutenberg – “C’est bien d’être là la nuit”, Victor 6 ans.
« On est au taquet. », m’avait prévenue une des bibliothécaires, la veille, alors que j’étais en repérage. Au programme de 15h à 22h30 : fabrication de lanternes, histoires à la lampe torche, observation des étoiles, collation, mini-bal, lectures, relaxation.
Lorsque j’arrive à 18h40, il y a des applaudissements, un exposé à propos de la voûte céleste sous un plan incliné dans la pénombre, des enfants qui lisent des albums sur des coussins, d’autres qui courent sans chaussures vers les rayonnages de « Max et Lili », des parents qui suivent, des bibliothécaires attentives, et une légère odeur de chaussettes, comme à la maison. Joyeuse impression à Gutenberg !
« Cette Nuit de la lecture, c’est l’occasion de partager la passion du livre de manière festive, dans un temps privilégié, la nuit : c’est le temps du silence, du rêve, des histoires lues dans la pénombre, de l’intimité. C’est aussi l’occasion de créer du lien social entre les gens du quartier. », explique Emmanuelle Morand, la responsable de la bibliothèque. Et le petit Victor, 6 ans et demi et pas toutes ses dents, venu avec sa mère, de résumer l’instant à sa façon : « J’aime bien lire, c’est bien d’être là la nuit, je suis content. »
Je quitte à regret cette ambiance chaleureuse, dédaignant un Marie-Aude Murail qui me tendait les bras, et je monte à bord du bus 62 et direction la rue de la Convention.
“Faire vivre la librairie”
Deuxième escale : la librairie Le Divan – “Passer à la casserole traverse l’esprit“
Il est 19h20. Des chaises pliantes ont été installées en face du canapé central de cette grande librairie cosy à souhait. Une caméra de CNews filme le moment. Une trentaine de lecteurs écoutent avec attention et discutent avec l’auteur et chimiste Raphaël Haumont, invité à l’occasion de cette Nuit de la lecture et pour la parution de son livre « Les papilles du chimiste » aux éditions Dunod. Une dégustation a eu lieu, il parle des accords de saveurs, de cuisine moléculaire, des récepteurs de goût, de composition des aliments, d’expériences culinaires.
J’ai beau avoir un physique menu, ça ne m’intéresse pas tellement, mais j’avoue que l’auteur est agréable à regarder. Mon Surmoi étant en RTT, l’expression « passer à la casserole » me traverse un instant l’esprit…
Je m’éclipse pour cuisiner une libraire, Noémie : « Cette Nuit de la lecture, ça permet de faire vivre la librairie, de proposer quelque chose de différents aux lecteurs et d’inviter des auteurs sympathiques. » Sympathique, c’est pas faux. Avant de délaisser ces histoires de papilles, avec professionnalisme et sens de l’à-propos, je recueille l’avis d’un papi, Alain, 68 ans, scrutant une table de livres : «Je viens souvent ici, c’est ma librairie de quartier, ce sont mes dealers de livres. C’est très sympa de profiter de cette ambiance nocturne, de goûter à cette douce chaleur, ça change du quotidien. »
Mon passage au Divan touche à sa faim. J’ajuste ma capuche, et je marche seule, sans témoin, sans personne, que mes pas qui résonnent, je marche seule (…), rue de la Convention pour rejoindre la rue d’Alleray.
Troisième et dernière escale : la médiathèque Marguerite Yourcenar.
Il est 20h. La façade multicolore de l’imposante médiathèque augure une montée en gamme. Un panneau écrit à la craie annonce la couleur : de 18h à 22h, lectures à voix haute pour petits et grands, fresque participative, jeux de société, concours de dessins, blind-test autour des génériques de dessins animés, concert du batteur Abel, chorale participative improvisée. Le tout réparti sur les quatre niveaux qui structurent l’établissement.
Alors, je monte et je descends les escaliers jusqu’au sous-sol, j’explore, l’ambiance est fa si la décrire : familiale, décontractée et sereine, chacun – enfants et adultes – picore, participe à son goût au programme musical, littéraire et ludique. Tout est proposé, rien n’est imposé, j’en oublie ma mission. J’envoie une story Instagram d’un titre de livre amusant à un garçon de mes contacts, je fais chou-blanc, il fait silence. Je me réfugie dans quelques planches d’« Oublie mon nom », une BD de Zerocalcare posée sur une table, pendant que des enfants enjoués reconnaissent le générique d’Hamtaro.
Piano piano, je m’en vais m’enquérir de l’orchestration de cette soirée : « C’est la 2ème édition. L’an dernier, nous avions eu 300 personnes, c’était un succès ; ça permet aux lecteurs, petits et grands, de voir la médiathèque autrement. Cette année, nous avons essayé de mieux répartir les activités dans les étages. Il y a aussi bien un public d’habitués que des curieux. », témoigne Laure Leclerc, l’une des bibliothécaires à l’affût du bien-être de chacun. Plus loin, à l’espace presse, des parents lisent des magazines, et Maud, leur fille, 9 ans et demi lit une BD, c’est une habituée : « ça me plaît de venir la nuit, ici. Si j’étais restée à la maison, j’aurais mangé, regardé la télé et dormi. », me raconte-t-elle un peu intimidée, sous le regard ému de ses parents.
Sur ce, attendrie, je prends la clé des chants, grimpe dans le bus 62 et rentre chez moi, pleine de micro-histoires à raconter. Et, pas mécontente d’avoir troqué ma couverture en polaire contre la couverture de cette Nuit de la lecture.
La Nuit de la lecture c’était aussi dans le cadre du Festival Le Goût des Autres, au Havre. Notre reportage, ici. Par ailleurs, vu qu’il y avait tout un tas d’évènements en France, n’hésitez pas à nous envoyer des compte-rendus.