“Nos vies sont déterminées pas de multiples contingences, déclarai-je, en essayant d’être aussi succinct que possible, et nous luttons chaque jour contre ces chocs, ces accidents, afin de conserver notre équilibre. Il y a deux ans, pour des raisons philosophiques et personnelles, j’ai décidé de renoncer à cette lutte. Ce n’était pas par envie de me tuer – n’allez pas croire ça – mais parce qu’il me semblait que si je m’abandonnais au chaos de l’univers, l’univers me révèlerait peut-être en dernier ressort une harmonie secrète, une forme, un plan, qui m’aideraient à pénétrer en moi-même. La condition était d’accepter les choses telles qu’elles se présentaient, de se laisser flotter dans le courant de l’univers. Je ne prétends pas y avoir très bien réussi. En fait, j’ai échoué lamentablement”, écrit Paul Auster dans son fameux “Moon Palace”. Des mots qui disent en creux l’auteur qu’il était et qui racontent, aussi, son œuvre. Une œuvre singulière qui oscille entre la recherche d’identité et l’envie de s’en foutre ou d’en crever. Laisser entrer le monde, ou s’enfermer. Éternel dilemme qu’Auster comme d’autres savaient à merveille traduire en fiction.
Auster est mort et se rendre compte que « quelque chose en nous » tient de ce que l’on a appris comme lecteur chez Paul Auster. Dans l’accompagnement que furent ses livres, mais aussi dans ce que nous narrent ses fictions. Chez Auster, par exemple, le hasard n’est jamais simplement un coup du sort ; il est une toile de fond sur laquelle se dessinent des récits profondément humains, marqués par la quête incessante de l’identité et la puissance transformatrice de la fiction. Auster, à travers ses romans, a sculpté un univers où ces éléments ne sont pas seulement des thèmes littéraires, mais de véritables outils pour comprendre notre propre existence.
Le hasard, chez Auster, agit comme un catalyseur des événements de la vie, rappelant à ses personnages, et à ses lecteurs, que le contrôle est souvent une illusion. Cette reconnaissance du hasard ne conduit pas à la résignation, mais plutôt à une acceptation active, un engagement à naviguer dans l’incertitude avec perspicacité et résilience.
Dans notre société actuelle, où les trajectoires de vie peuvent être bouleversées en un instant par des forces apparemment aléatoires – une pandémie mondiale, une crise économique, un changement politique – la littérature d’Auster offre un miroir de notre capacité à persévérer et à trouver du sens malgré le chaos.
Et aussi, à regarder l’autre. “Du moment qu’un homme commence à se reconnaître dans un autre, il ne peut plus considérer cet autre comme un étranger. Qu’il le veuille ou non, un lien existe”, lit-on dans « La Musique du hasard ». La recherche de l’identité est un autre pilier central de son travail. Auster explore comment nos identités sont façonnées, déconstruites et souvent reconstruites à travers nos interactions, nos choix et les épreuves que le hasard place sur notre chemin.
Cette exploration n’est pas un luxe réservé aux personnages de fiction ; elle est cruciale dans un monde où l’identité peut à la fois diviser et connecter, où comprendre qui nous sommes influence directement notre manière de coexister avec les autres. “Essayer d’être un autre est une façon de devenir soi-même”, souligne “La trilogie New yorkaise”.
Enfin, la force universelle de la fiction, telle que Auster la dépeint, réside dans sa capacité à transcender les frontières personnelles et culturelles. Ses histoires, en dépit de leur ancrage dans le spécifique – souvent à New York ou dans d’autres fragments de l’Amérique – parlent à un public mondial. Elles montrent que la fiction, loin d’être une simple évasion, est essentielle pour construire des ponts entre les individus, offrant un espace où les différences peuvent être non seulement reconnues, mais aussi célébrées et mieux comprises. Et retrouver, peut-être la capacité de croire en la possibilité d’aimer. “J’avais sauté de la falaise, et puis au tout dernier moment, quelque chose s’est interposé et m’a rattrapé en plein vol. Quelque chose que je définis comme l’amour. C’est la seule force qui peut stopper un homme dans sa chute, la seule qui soit assez puissante pour nier les lois de la gravité.” Moon Palace, encore.
Des mots qui soulignent si besoin en était ce “Quelque chose de Paul Auster” qui habite l’auteur de ces lignes, comme nombre des lecteurs dans le monde. Dérisoire ? Peut-être. Toutefois, la conviction forte que ce que les auteurs et actrices avec leurs histoires font de nous réside dans chaque moment où nous laissons la place au hasard pour dessiner un nouveau chemin, dans chaque interrogation sur notre propre histoire, et dans chaque page de fiction qui élargit notre vision du monde. En cela, Auster n’a pas seulement écrit des livres ; il a offert des outils pour mieux vivre et cohabiter dans un monde en perpétuelle réinvention.
En ces temps incertains, où chaque jour peut sembler aussi aléatoire qu’un jet de dés, il y a quelque chose de réconfortant, voire vital, à trouver “quelque chose de Paul Auster” dans notre manière de vivre et de rêver ensemble.
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