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Le migrant, anti-héros inspirant

Sebastien Goldberg AW5MxlFDVzc Unsplash

Une femme ou un homme isolé loin de chez lui, démuni et vulnérable mais porté par un idéal… le destin des émigrés ne peut qu’attirer un écrivain attentif à la marche du monde. Et le roman noir est le registre approprié pour le mettre en scène. Parmi les sorties récentes, Philippe Lemaire a retenu trois fictions poignantes inspirées par ce sujet.

A chaque nouvelle guerre ses déplacés, ses déracinés, ses migrants. Tout quitter pour fuir les bombes, les bourreaux, la famine, la peur, quand ce n’est pas l’oppression ou la pauvreté, la sécheresse ou la canicule. Le flux enfle à chaque crise. En 2020, c’est l’équivalent de la population de l’Indonésie, la quatrième au monde, qui a pris un aller simple vers une vie supposée meilleure, la promesse d’un travail fixe, de quoi nourrir les siens ou financer leurs études. Ces quelque 280 millions de candidats à un nouvelle vie sont partis en payant une fortune à des agences plus ou moins honnêtes, à des réseaux plus ou moins mafieux. Avec en tête des rêves, des doutes, des angoisses…

Une vague d’auteurs de roman noir s’est emparé du thème avec des tonalités diverses mais une aspiration commune : nous ouvrir les yeux sur cette sombre réalité grâce aux armes de la fiction. On se souvient en France d’Olivier Norek avec « Entre deux mondes » (Michel Lafon, 2017), nourri par les drames accumulés de la jungle de Calais. On a remarqué aux Etats-Unis Laila Lalami avec « Les autres Américains » (Christian Bourgois, 2019), âpre quête de justice d’une immigrée marocaine de la deuxième génération. Dans cette même veine, trois livres de grande qualité ont retenu notre attention ces deux dernier mois. Nous avons demandé à leurs auteurs ce qui les avait amenés à creuser ce sujet, ce qu’ils en avaient appris et quel message ils en retiraient.


Will Dean, « Tout ce qui est à toi brûlera » (Belfond)

Le livre. Une jeune Vietnamienne, Thanh, raconte sa séquestration dans une ferme anglaise isolée. Elle aspirait à un petit boulot dans un bar à ongles. Elle est l’esclave domestique et sexuelle de Lenn, agriculteur rustre et obsessif, qui lui a estropié la cheville et la prive de soins. Surveillée et privée d’effets personnels, elle a perdu son intimité, son autonomie, son identité. Unique alternative : s’évader ou mourir. Ce récit d’enfermement dans une prison aux portes ouvertes, écrit à la première personne, baigne dans une atmosphère fétide. La victime apprend à se taire, à négocier, à troquer une souffrance pour une autre. Au fil de son poignant monologue intérieur, on se surprend à souhaiter le pire à son bourreau.

DEAN (c) DRL’auteur. Quadragénaire, Will Dean a quitté Londres pour s’installer en famille près de Göteborg, en Suède, dans un chalet en pleine forêt. Il a publié six livres en anglais, quatre dans la série policière Tuva Moodyson et deux romans unitaires, dont celui-ci. Ses références littéraires sont Cormac McCarthy (« La route ») et Gillian Flynn (« Les lieux sombres », « Les apparences »). Depuis trois ans, il délivre sur sa chaînes YouTube ses recettes de succès et de développement personnel.

Le déclic. « L’idée m’est venue en 2015, nous confie-t-il dans un échange de mails. Une nuit m’est apparue la vision d’une ferme isolée dans la plaine marécageuse de l’Est de l’Angleterre. Je voyais de haut une silhouette qui sortait du cottage et tournait autour mais ne s’en éloignait jamais. A 6 heures du matin, j’avais une idée complète du livre. Une histoire très simple, avec deux personnages principaux, dont l’un tente désespérément d’échapper à l’autre. » Son idée a été confortée en 2019 lorsque est survenue dans l’Essex la tragédie du « camion de l’horreur » : 39 migrants vietnamiens découverts morts dans une remorque frigorifique. « J’ai su que je devais faire une somme importante de recherches, écrire avec un maximum d’empathie et rendre justice à mes personnages. C’est pour cela qu’à partir d’une ébauche qui m’a pris trois semaines, il m’a fallu cinq ans pour terminer ce roman ».