Cette semaine, sur les genoux de Carole Zalberg, il est question de la conquête d’une liberté et d’un très beau roman.
Qui n’a pas rêvé de ruer ? Un beau matin, sans l’avoir vraiment décidé, peut-être même sans en avoir caressé l’idée folle, la narratrice de « Renata n’importe quoi » cesse d’accepter toute contrainte. Elle part. De son emploi chez Monsieur et Madame estomaqués. De son logement. De ce qui a constitué jusque-là sa vie. Sa dernière paie en poche et ses quelques affaires – dont les mystérieuses lettres de Paul sont le trésor – réparties dans des cartons (« une valise c’est pour aller d’un endroit à un autre endroit »), elle s’en va la joie au cœur. Elle est non pas libre mais une libre comme on est une fleur ou un nuage. Elle veut l’être en tout cas, et se nourrir à son gré, d’une pomme offerte, du chant des oiseaux, de la présence immuable et silencieuse des arbres, de la belle lumière du « petit soir » que les autres trop pressés ne voient pas, de l’odeur de la nuit.
Dans un monologue publié pour la première fois en 1967 et remis au jour par les orpailleurs du Chemin de fer, Catherine Guérard fouille avec les mots truculents de son héroïne entêtée les moindres recoins de la condition humaine et de l’ambiguïté du lien. Tout ce qui rattache emprisonne-t-il ? Comment échapper aux règles quand ses propres pensées se livrent des batailles sans merci, quand d’une décision découlent mille conséquences ? Y a-t-il une autre alternative que société ou sauvagerie ? Sommes-nous possédés par nos possessions ? Peut-on refuser d’obéir aux horloges ? Autant d’interrogations qui, progrès ou non, semblent vouées à nous hanter. De sa voix aussi prompte à l’émerveillement qu’à la colère, intolérante et capricieuse comme seuls les enfants osent l’être face à quiconque ne se plie pas à leur fantaisie, Renata qui ne s’appelle pas Renata nous bouscule et nous touche, nous tente et nous confronte à nos renoncements, mais nous laisse aussi entrevoir, peut-être pour nous sauver de la mélancolie, la radicalité non négociable d’une existence refusant tout joug. Intemporel et dérangeant.
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