Le confinement touche à sa fin. Ernest vous propose la lecture d'un texte inédit d'Abel Quentin, auteur aux éditions de l'Observatoire, et dont le premier roman a été très remarqué. Dans le texte dystopique qu'il nous livre Abel Quentin imagine le monde d'après. Il y a une révolte. Pas celle que l'on imagine. Elle vous surprendra. Bonne lecture chers Ernestiens et chères Ernestiennes.
Par Abel Quentin
Des années plus tard, il est encore difficile de démêler le fil des événements qui ont conduit à cette jacquerie inédite, à l’embrasement d’un pays entier. La documentation n’est pas inexistante, elle est même abondante, mais elle rapporte trop de faits contradictoires, et puis tout est allé extrêmement vite - la révolte s’est propagée en quelques heures sur tout le territoire, par la grâce des réseaux sociaux. Si les historiens divergent sur l’identité exacte des premiers insurgés on sait néanmoins, avec une quasi-certitude, qu’ils étaient des pensionnaires de l’Ephad de l’Arbre de Vie. Le bâtiment a depuis longtemps disparu : incendié pendant les évènements, il a été remplacé par un champ de culture de cannabis à usage récréatif. A l’époque, une centaine de seniors y vivaient en semi-autonomie - l’Arbre de Vie assurant un suivi médical et des services de restauration collective, mais « aucune assistance quotidienne pour les besoins vitaux », façon euphémistique de préciser que les culs devaient être torchés par leur propriétaire. On y croisait donc des vieux en relative bonne condition physique.
Seul un passant attentif remarquera la petite stèle commémorative patinée par les ans, sobre, plantée au bord de la route. Elle renseigne que le 11 mai 2020, peu après vingt heures, dix pensionnaires de l’Ephad jurèrent de lutter jusqu’à leurs dernières forces contre le décret scélérat qui ordonnait la poursuite d’un confinement dur (« à l’italienne ») pour les individus âgés de plus de 75 ans. Les Dix, comme les baptisèrent leurs partisans. Tout le monde connait le tableau célèbre qui les représente réunis en demi-cercle au bord du lit de la doyenne, Madame Yvonne Le Brac, tendant leurs mains décharnées au-dessus de la tête de la nonagénaire pour prononcer leur serment. Sans doute cette représentation s’inscrit-elle dans une historiographie idéalisée et romantique du mouvement. Il demeure que les Dix se sont bien réunies dans la chambre de Mme Le Brac. Que, selon nombreux témoins, ils ont poussé des hurlements à l’annonce du Premier ministre Edouard Philippe et jeté à terre leurs plateaux repas.
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