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La nature humaine

Issy Bailey TEIHSmfwznM Unsplash

Même un auteur de littérature de l’imaginaire tenté par une anticipation apocalyptique ne serait peut-être pas allé aussi loin dans son scénario. La semaine dernière le gouvernement australien a envoyé l’armée pour tuer des animaux qui – pris dans les flammes et assoiffés se dirigeaient vers les villes pour boire de l’eau. Cet auteur n’aurait certainement pas imaginé non plus qu’après le Brésil et la forêt amazonienne au mois de juillet 2019, ce serait désormais au tour de l’Australie que d’être dévastée par des incendies d’une ampleur inégalée. Trois chiffres en témoignent. Plus de huit millions d’hectares de forêt sont partis en fumée ; vingt-quatre personnes sont mortes depuis le 19 décembre, et plus d’un milliard d’animaux sont menacés. “La maison brûle et nous regardons ailleurs”, disait Jacques Chirac en 2002 au sommet de la terre en Afrique du Sud. 2002 – 2020 : 18 ans de négligence. 18 ans d’aveuglement. Cela non plus notre auteur de science fiction n’aurait pas osé l’imaginer. Comment, en effet, faire un personnage crédible quand ce dernier, complètement informé des causes et des conséquences du problème auquel il fait face attend 18 ans pour commencer à doucement s’inquiéter. Non, évidemment, son éditeur lui aurait rétorqué : “tu vas trop loin. C’est trop gros. Le héros réagirait forcément“.

Et pourtant… Cela est bel et bien en train d’arriver sous nos yeux stupéfaits et effrayés. Sous nos yeux en état de choc. Problème : quand le cerveau humain est en état de choc et de sidération, il est souvent tenté d’accepter tout et n’importe quoi pour faire passer sa peur et se laver – enfin – les mains d’une question embarrassante. C’est une réaction humaine. Profondément humaine. Trop humaine aurait peut-être dit Nietzsche.
Aussi, des évènements comme celui que nous sommes en train de vivre produiront forcément des réactions en chaîne. Certainement que si rien n’est fait, demain, notre auteur de science-fiction n’aura pas de mal à imaginer comment les hommes décideront – au nom de la préservation cruciale et essentielle de la nature – d’annihiler leurs libertés.

Tiens, c’est justement de cela dont il est question dans l’essai stimulant (comme toujours avec lui) de Régis Debray, intitulé “Le siècle vert”. Dans ce livre culotté, en grand penseur, Debray se réjouit de notre prise de conscience, il salue la façon dont la cause environnementale engendre une nouvelle forme de mobilisation et de mise en mouvement, et envisage même les passerelles entre les questions environnementales et sociales. En parallèle, il tente aussi de nous mettre en garde. Évidemment, son message sera dans l’époque que nous vivons considéré comme réactionnaire. Mais regardons tout de même de quoi nous parle Régis Debray. Il nous invite – nous humains dotés de raison et attachés à l’Histoire – à ne pas tout jeter de notre histoire au prétexte de préservation de la nature.

Attention, Debray n’écrit pas qu’il ne faut pas s’en préoccuper, au contraire, il alerte seulement sur le danger du balancier complètement inversé qui conduirait à la soumission totale de l’Homme à la Nature après que celui-ci eut complètement soumis la Nature à ses désirs. Au fond, le sens du propos de Debray qui sera forcément caricaturé par les militants des deux bords, c’est de trouver l’équilibre. Enfin. Équilibre entre nécessaire changement profond de paradigme dans notre relation à la nature, et approfondissement de notre rationalité humaniste et de notre sens de l’Histoire qu’il nous faut conserver en les amendant. En somme, nous dit le philosophe, cessons de diviniser l’homme en oubliant que c’est un animal, mais au contraire, ne divinisons pas l’animal en oubliant que l’Homme n’est pas un animal tout à fait comme les autres. En fait, Debray nous invite à l’esprit critique contre les nouveaux catéchismes. D’où qu’ils viennent et qu’ils soient verts après avoir été rouges.

Tous les éditos d’Ernest sont là.

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