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Assurer sa promo : l’autre métier de l’auteur

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Notre journaliste, Frédéric Pennel est aussi essayiste. A la rentrée, il a publié un essai fouillé sur la francophonie et sur la “guerre des langues” qui se jouent actuellement. Pour Ernest, il raconte : l’autre métier de l’auteur : faire connaître et vendre son livre.

Parce qu’il aime discourir, l’écrivain Erik Orsenna est un auteur complet. Il a certes choisi une vie de solitude dans un cabinet de travail. Avec les mots pour principale compagnie. Mais il appartient aussi à une catégorie d’auteurs qui se délectent à défiler de plateaux télé en studios radio pour faire la promotion de ses productions littéraires.

C’est que le travail d’auteur ne s’arrête pas à la correction des dernières épreuves avant impression du livre.  L’ouvrage tout juste sorti des turbines, son auteur doit enfiler un nouveau costume, qui requiert de toutes autres qualités. Il devient vendeur. À l’angoisse de la page blanche en succède une autre : le blanc dans un direct médiatique devant des millions de téléspectateurs.

68 000 livres publiés… par an !

Couv Guerre Des LanguesEn écrivant, je n’y avais jamais vraiment songé. Tout a commencé un mercredi matin. Chez mon éditeur, je découvrais les exemplaires imprimés, empilés sur une table. Ce jour-là, j’ai tenu entre les mains mon premier livre. L’aboutissement de cinq années de labeur devenait concret. Sensuel, même. Éventé par les pages que je faisais défiler machinalement, je reniflais l’odeur de neuf qu’elles dégageaient. Je contemplais la police et l’organisation typographique des pages. Recherches, interviews, voyages, écriture, relecture, recherche d’une maison d’édition, re-relecture… Mission accomplie ! Après ce marathon, j’aspirais à un repos que j’estimais bien mérité. Après avoir semé, l’heure était venue de récolter.

Le plus stratégique restait pourtant devant. C’était si évident qu’aucune clause dans le contrat d’édition ne le stipulait. Qui allait en faire la pub, sinon moi ? Il s’agissait de s’activer comme jamais pour que le livre se dégage de l’immense cul de sac littéraire dans lequel s’embouteillent tant de nouveaux livres publiés. Leur nombre en France est à peine croyable : 68 199 en 2018…
Je découvrais une formidable alliée, mon attachée de presse. Une jeune femme hyper dynamique qui ne comptait pas m’abandonner au repos. La première opération consistait à me confronter à des piles d’exemplaires qui n’attendaient que ma dédicace pour repartir. Destination : les leaders d’opinion susceptibles de le faire rayonner.  Faut-il achever le mot par « amitié », « amicalement » ou « bien à vous » ? Jusque-là, rien d’insurmontable…

Le travail porte ses fruits et rapidement une radio lance une invitation pour un direct. Une bonne nouvelle pour le livre, mais cette perspective me violentait. Tout mon entourage était unanime : il fallait affronter… Rendez-vous est pris un mois plus tard. L’horizon de cette date était tranchant comme un couperet. Une émission en direct, c’est comme un grand oral sauf que le jury se compose de milliers d’auditeurs. J-30 : commence un décompte infernal. Chaque jour acidifiait un peu plus mon bide. Je préparais des fiches, je dévorais tous les podcasts de l’émission. Je visionnais « Le discours d’un roi », le film sur Georges VI, célèbre bègue qui combattait sa phobie à s’exprimer en public. Je m’entraînais devant quelques amis charitables de leur temps. Las, ces coachs de fortune, dès qu’on inversait les rôles, répondaient mieux que moi aux questions. Alors qu’ils n’avaient pas même lu le livre ! La vérité transparaissait : les passages médias sont d’abord un exercice de répartie et de sang froid, et non un oral de connaissances.

Interviewé en chaussettes

Le jour venu, je me positionne très en avance devant la tour abritant la radio. Aucun proche n’est prévenu. Mon attachée de presse m’y rejoint. Elle mesure mon niveau de flippe au débit de ma voix et à mon visage fermé. Mais elle masque parfaitement son inquiétude. En montant dans les étages, je retrouve le présentateur, décontracté comme s’il était à la maison un dimanche après-midi. Il déambulait nonchalamment dans les couloirs entre la machine à café et les toilettes. Après 30 ans de radio, il pouvait savourer son aisance derrière un micro. Apprenant qu’il s’agissait de mon baptême du feu, il m’interroge :
Chez vous, est-ce que vous gardez vos chaussures ?

Étonné, je lui réponds que je les ôte. Il me suggère d’en faire autant. L’interview se fera donc en chaussettes. Elle durera une demi-heure au cours de laquelle j’ai parfois oublié que les centaines de milliers d’auditeurs m’écoutaient. Je découvre les questions au fur et à mesure qu’il les pose. Et c’est la dernière qui sera fatale : « en un mot, optimiste ou pessimiste ? », me lance le présentateur. Je reste saisi, incapable de comprimer ma pensée en un mot. Rien d’audible ne sort de ma bouche. Pendant cette interminable hésitation, le présentateur grimace, m’abjurant gestuellement de cracher un mot de conclusion avant de s’exclamer : « trop tard, on n’est plus en direct ! » Et le rédac chef, de la cellule réplique du tac au tac, « Mais si, vous êtes toujours en direct ! » Pour la rediffusion, cette dernière séquence sera refaite, nickel.
Je sors tout ébaubi du studio. L’attachée de presse sourit devant toute l’équipe : « bravo, c’était fascinant ». Le présentateur la reprend « fascinant, peut-être pas quand même… ». Elle maintient : « si, c’était fascinant d’entendre une mise en récit orale du livre ». Sur le trajet du retour, je reste incapable d’ouvrir un livre ou un journal. Toute l’émission défile dans ma tête, je me torture à en refaire les réponses. Seules de longues brassées en piscine permettront de m’en libérer.

PennellisantHeureusement, l’adage « la presse attire la presse » se vérifie. Une seconde fenêtre de tir s’ouvre sur une autre station. Mon attachée de presse, alarmée par mon état la fois précédente, me retrouve plus tôt, histoire de manger un bout ensemble. Pour m’échauffer les cordes vocales autour d’un croque-monsieur. L’émission était enregistrée dans les conditions du direct. Un soulagement. Quant aux thèmes, ils m’avaient été précisés. Et puis, il y avait deux présentateurs, plusieurs invités et donc autant de rebonds possibles les uns sur les autres. Comme dans la vraie vie, le plateau était une discussion de salon où certains invités prennent plus de place que d’autres. Une invitée fait même l’éloge de mon livre. Je sors cette fois-ci ragaillardi du studio. Ça y est, j’allais pouvoir me reposer sur cette exposition médiatique qui allait doper les ventes. Mais je me procure les premiers chiffres et prends conscience qu’il n’était pas encore temps de baisser la garde. Ce redoublement d’énergie de ma part se nourrit aussi du retour des premiers lecteurs. Ils sont bons.

C’est alors que je relance des filets de tous les côtés. Je mise notamment sur la presse en ligne, comptant sur une viralité maximale. Je réécris aux journalistes, j’en parle systématiquement dans toutes les conversations, je me mets en scène dans des stories pour réseaux sociaux. LinkedIn, Instagram, Twitter et Facebook : quatre réseaux sociaux ne sont pas de trop pour émoustiller de potentiels lecteurs. Par la magie des algorithmes, les posts sont visualisés par des milliers de personnes. Les raz-de-marée commencent bien par des clapotis. Conséquence indirecte, des fantômes de vies passées ressurgissent. D’anciens amis perdus de vue depuis le lycée, d’ex ou de collègues disparus se manifestent. Finalement, un livre est aussi un condensé de toutes ces vies passées, il est bien normal que les fantômes qui les ont habitées reviennent pour le « liker ».

À vélib en quête de librairie

Occuper les réseaux et les médias ne suffisaient pas, il fallait aussi se bouger dans le réel. Organiser une soirée de lancement du livre. Muni d’un vélib, je quadrille la capitale en vélo plusieurs weekends de suite dans le cadre d’une grande tournée des librairies. Le samedi, les queues sont longues d’acheteurs de livres et, arrivé au guichet, on m’oppose, le plus souvent avec gentillesse : « Nous n’accueillons que des auteurs que nous connaissons bien », « Nous sommes une librairie religieuse », « Notre planning est plein à craquer les trois prochains mois ». Pris par le temps qui s’écoule, je pense à renoncer à faire une soirée de lancement. Jusqu’à ce que le hasard mette sur mon chemin une belle librairie, centralement située. Elle a accepté avec le sourire de m’ouvrir ses portes plusieurs semaines après la sortie.

Cela fait un mois que le livre est disponible et que la promo a commencé. Je reçois déjà les premières lettres de lecteurs. Aucune demande de remboursement du livre pour l’instant, mais au contraire des encouragements, des remerciements. Et des corrections bienveillantes de fautes qui ont échappé à notre vigilance.

Le chemin reste long. Mais ce qui est sûr, c’est que, après avoir goûté à la promotion, j’éprouve un certain plaisir. Peut-être pas aussi jubilatoire qu’Erik Orsenna. Mais chaque matin une pulsion électrise au réveil avant de rallumer son portable. L’excitation de vivre intensément l’aventure portée par le livre. Il va pourtant falloir que ça retombe un jour. Parce que c’est la vie d’auteur. Et parce qu’il faudra se remettre à nouveau à sa table. En toute solitude.

Guerre des langues, Frédéric Pennel, éditions François Bourin
Depuis que je connais Frédéric, il me parle de son projet de livre sur la langue française. Alors que nous assistions à des réunions communes, il trépignait dès que les anglicismes barbares venaient remplacer des mots français. Mais Frédéric ne s’est pas contenté de trépigner, il a enquêté, voyagé, fouillé, disséqué ce que recouvre le fait de parler telle ou telle langue. Son livre est une somme passionnante et enlevée sur cette guerre des langues qui est en cours. Ce livre fera date dans la recherche sur la langue française et sa position dans le monde. A lire pour être plus intelligent. D.M.

Toutes les enquêtes d’Ernest sont là.

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