“Le défi de la modernité, c’est de vivre sans illusion et sans être désillusionné”. Vaste programme que cette entame du dernier livre du philosophe Zygmunt Bauman, théoricien de la modernité liquide (dont nous vous parlions il y a quelques semaines) qui nous fait perdre nos repères. Dans son dernier livre qui parait à titre posthume aux éditions Premier Parallèle, Bauman ausculte avec acuité la maladie des sociétés modernes liquides. Selon lui cette maladie a un nom : Rétrotopia ou ce désir de retour en arrière permanent. Retour en arrière sur l’idée d’un futur possible, mais aussi sur l’idée d’une humanité vivant en bonne intelligence. Bauman analyse avec force cette tendance actuelle au “c’était mieux avant”, à cette idéalisation du passé qui empêche de penser l’avenir et qui veut rendre l’action et la construction comme étant des vieilles lunes. Logique puisque de toute façon selon les “retrotopiens”, le présent est perdu et le futur n’existe plus. Plus grave encore, cette nostalgie nous conduit à revenir à la théorie selon laquelle l’homme est un loup pour l’homme et au repli sur les tribus identitaires. Du haut de ses 92 ans, Bauman tend un miroir à notre monde actuel. Mais la force de Bauman est plus grande encore.
L’espérance est dans la complexité
Dans l’acuité de sa pensée, il ne se contente pas de tendre un miroir. Il alerte : “Il n’existe aucune solution de facilité susceptible de faire rapidement barrage, sans grands efforts, aux tendances « rétrotopiques » (…) il faut nous préparer sérieusement à une longue période au cours de laquelle les questions supplanteront les réponses et les problèmes les solutions, et où il s’agira d’agir sans pouvoir tabler sur des succès certains.” Et enfin, il ouvre la pensée. Il souligne que le choix cornélien de l’humanité se situe aujourd’hui entre la coopération à l’échelle planétaire ou la mort. Comme dans son alerte, il fait l’éloge de la complexité et de l’incertain. Il fixe les interstices, le vide dans lequel il existe un espace qui oblige à inventer et souligne la possibilité d’un salut grâce à ce que nous allons construire ensemble. Évidemment, l’art et les livres en particulier occuperont une place centrale dans la reconstruction du sens. Fini la Rétrotopia, vive L’Esperanzia !
Tous les éditos d’Ernest.