A quoi reconnaît-on les auteurs courageux ? Peut-être en ce qu’ils sont capables de sortir de leur zone de confort. Peut-être en ce qu’ils sont capables d’aller là où on ne les attends pas. C’est ce que vient de faire Leïla Slimani.
Auréolée de son prix Goncourt 2016 pour “Chanson douce”, Leïla Slimani aurait pu se retirer tranquillement sur son aventin et réfléchir à son prochain roman. Elle a fait tout l’inverse. Profitant de la célébrité de son prix Goncourt, elle a décidé de mener à bout une enquête journalistique puissante – issue des réactions à son superbe premier roman “Dans le jardin de l’ogre” – sur la vie sexuelle des femmes au Maroc.
Durant la promo de son premier livre “Dans le jardin de l’ogre”, qui raconte l’histoire d’une femme addict au sexe, Leïla Slimani franco-marocaine, a beaucoup voyagé. Et notamment dans son pays d’origine, le Maroc. Après les rencontres, les femmes venaient la voir. Et lui racontaient leur vie. Leur difficile vie sexuelle corsetée par les dogmes religieux du Maroc. Ce sont ces témoignages que Slimani relate dans son nouveau livre “Sexe et mensonges : la vie sexuelle au Maroc” et dans un roman graphique “Paroles d’honneur”. Ce qui frappe dans ces deux ouvrages c’est la détresse de ces femmes et même de certains hommes marocains et plus largement dans les pays musulmans qui ne peuvent vivre librement le plaisir de désirer et d’aimer. A la lecture du livre de Leïla Slimani, on se rend compte à quel point le corps des femmes est un objet politique.
Une enquête salutaire, essentielle et courageuse !
Cette prise de parole de Leïla Slimani à travers ces femmes est essentielle. C’est une nouvelle pierre dans le jardin des intégristes religieux. Ceux qui dénient finalement le droit au plaisir et à la liberté. Ceux qui veulent soumettre les femmes, et les intellectuels comme Kamel Daoud qui avait déjà pointé le rôle de la misère sexuelle dans l’éclosion de l’extrémisme religieux. Signe que les mots de Slimani touchent juste : elle est devenue en l’espace d’une semaine, la “nouvelle cible” de la censure anti-raciste qui déjà disait que Charlie Hebdo était un journal islamophobe.
A la fin de son livre Slimani observe : “En réalité, en opposant une identité musulmane basée sur la vertu et l’abstinence à une culture occidentale qui serait celle de la dépravation, on nie complètement notre héritage culturel. On peut considérer que si les musulmans n’ont pas de droits sexuels, c’est par ce que les pays dans lesquels ils vivent reposent sur la négation des libertés individuelles (…). Plus les régimes sont sous pression, plus ils répriment la sexualité sous le voile de l’islam”. Avant de citer, dans une conclusion mélancolique, Malek Chebel, lui aussi cloué au pilori pour avoir oser parler du tabou sexuel : “Comme toute émancipation, l’érotisme et surtout le droit d’en parler s’acquièrent de haute lutte. Cela procède d’une liberté assez rare : le droit de penser par soi-même. Il faut affronter le tabou le plus massif de tous”. En refermant, cette enquête essentielle et ce roman graphique très bien dessiné, la colère est présente, mais l’envie de parler de sexe librement est encore plus grande. Le début d’une révolution ? Puisse ce livre être lu partout. Et surtout dans les pays comme le Maroc.