Dans les coulisses de la rentrée littéraire

Notre libraire chroniqueuse Sonia Petit est de retour. Ce mois-ci, elle nous dévoile les coulisses de la rentrée littéraire. Comment les libraires préparent-ils cette période ? Lisent-ils tous les livres ? En lisant, cette chronique vous saurez tout.

Cette semaine, c’est la Rentrée ! On devrait dire les Rentrées, car il y a la Rentrée Scolaire, où nous laissons nos bambins aux portes de l’école pour les voir revenir avec une liste de livres à acheter pour… demain, bien évidemment ! Heureusement, les libraires sont parés à toutes les demandes des parents stressés, et c’est tellement mieux qu’un site internet… Et il y a aussi la Rentrée Littéraire, la belle, celle que tous les libraires de France et de Navarre attendent avec impatience ! Il faut dire que nous la préparons depuis quelques temps déjà. C’est le côté un peu schizophrénique de notre travail. Au moment, où tout le monde prévoit ses vacances, nous, nous préparons déjà la Rentrée, et à peine arrivée, nous pensons déjà à Noël et à celle de Janvier et ainsi de suite tout a long de l’année. Nous vivons continuellement en pensant à ce qui va arriver sur nos tables deux ou trois mois plus tard. On peut dire qu’on a toujours un train d’avance !

En mai et en juin, nous travaillons avec les représentants les nouveautés qui arriveront en septembre et octobre. Nous nous rendons à des journées, à des soirées où des éditeurs nous disent pourquoi leur livre est LE livre de la Rentrée. Chaque maison défend ses choix, nous encourage à lire leurs ouvrages. Ils sont plein de fougue, ils ont travaillé longuement sur des textes, sur des achats de textes, sur des traductions, ils sont sûrs d’avoir LA pépite. On s’enthousiasme avec eux, on est ravis de voir des nouveautés, on veut lire presque tout ce qu’on nous propose, et on repart avec notre escarcelle pleine d’épreuves de ces livres. Et quand nous rentrons chez nous, en empilant nos livres selon ce qu’on estime prioritaire, on se dit que les vacances ne seront jamais suffisantes pour tout lire, et c’est vrai, nous n’aurons pas le temps de tout lire, mais on veut en lire le plus possible. Alors, on lit, on lit, on lit, on lit, et quand on a un peu de temps on lit !

Bien entendu, il y a des déceptions, mais ce n’est pas là-dessus que je vais m’appesantir. Je préfère penser à toutes ces pépites lues, celles dont j’étais sûre et celles que je n’avais pas vu venir. Il y a aussi des lectures en demi-teintes, ces lectures qu’on trouve pas mal, mais sans plus, mais on sait parfaitement qu’elles trouveront un lectorat. Car, les libraires ne lisent plus pour eux, mais pour vous. Systématiquement, en plongeant dans un bouquin, nous pensons à comment les conseiller, à qui nous pourrons les conseiller. On ne différencie plus le lecteur du libraire, nous ne lisons plus pour nous-mêmes. Nous lisons pour notre plaisir mais aussi pour vendre les coups de coeur et pour les partager ensuite. Pour pouvoir les partager, il faut aussi s’en souvenir ! Quand c’est un immense coup de cœur, il n’y a pas de réelle difficulté, on arrive sans presque aucun mal à s’en souvenir, mais quand c’était une lecture sympa mais sans plus, et que le conseil arrive deux mois et demi plus tard c’est plus compliqué ! Moi, je note donc mes lectures au fur et à mesure, pour ne rien oublier, ni ces lectures pas mal, ni mes immenses coups de cœur !

Mais comment vous faîtes pour tout lire ?

Quand la Rentrée est enfin là, quel bonheur de sortir des cartons les livres qu’on a aimé, dont on a parlé entre nous, de mettre des notules sur les coups de cœur. Et surtout, enfin les mettre dans les mains de nos clients, en leur disant qu’ils peuvent y aller les yeux fermés, que ce qu’ils ont dans leur panier c’est de la bombe ! Et dans cette Rentrée, il y en a des bombes ! Bien évidemment, il y aura toujours les clients pour pointer du doigt les livres que nous n’avons pas encore eu le temps de lire, et nous demander ce qu’on en pense ! Aucun libraire ne peut se targuer d’avoir lu toute la Rentrée, surtout quand on veut être le plus polyvalent possible, en lisant également du Polar, de l’Imaginaire et de la Jeunesse. Heureusement, entre nous, nous parlons beaucoup des livres de Rentrée, et on a presque toujours un retour de lecture.

Pour ma part, je vous livre deux de mes indispensables parmi cette Rentrée. En littérature française, « Mercy Mary Patty » de Lola Lafon paru chez Actes Sud. Mercy Short, Mary Jamison et Patricia, Patty, Hearst ont un point commun : elles ont choisi une autre voie que celle qu’aurait dû être la leur. Pire, cette voie va à l’encontre de tout ce qu’on leur a enseigné. Centré plus spécifiquement sur Patricia Hearst, cette jeune et riche héritière kidnappée en 1974 va embrasser la cause de ses ravisseurs. Lola Lafon, avec brio, nous livre le sort que l’on réserve à ces femmes qui ont fait des choix différents. Pour expliquer, on peut parler de faiblesse, de syndrome de Stockholm pour nier ces revirements. Ce roman, ce sont ces femmes qui le font, Mary, Mercy, Patty mais aussi Gene, Violaine et la narratrice, ces femmes qui ont choisi d’être libres et qui doivent payer le choix de cette liberté. Plus qu’un plaidoyer féministe, ce roman est une réussite autant sur le fond que sur la forme.

En littérature étrangère, pour moi, impossible de ne pas parler de « Jeu Blanc » de Richard Wagamese paru chez Zoé. La désintox de Saul IndianHorse est pour lui l’occasion de coucher par écrit sa jeunesse, mêlant tradition ojibwée et éducation par les Blancs, puis sa passion pour le hockey. On retrouve dans ce roman le même talent de naturewriter que dans son précédent roman « Les étoiles s’éteignent à l’aube » (qui parait en poche en même temps), mais également la complexité de vivre entre deux mondes, celui des traditions ancestrales, et celui des Blancs, de la difficulté de s’y mouvoir à cause du racisme, de la violence. Un texte fort, ce roman restera longtemps en vous, je vous le garantis. Alors, ce week-end, vous savez quoi faire : allez voir vos libraires préférés et échangez avec eux sur leurs coups de cœur de cette rentrée. Ils adorent en parler.

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