Ancien journaliste, ancien ministre, Pascal Canfin est désormais président de la commission environnement du Parlement européen. Il est l'une des figures de l'Europe actuelle. Il a reçu Guillaume Gonin pour parler essais, romans et rôle des livres dans sa vie. Il est question de Jared Diamond, de Keynes, mais aussi de Céline et de Jancovici.
Photos Patrice NORMAND
Calé dans l’angle d’un café parisien, notre invité se fend d’un large sourire en devinant mon entrée en matière, prévisible parce qu’irrésistible : comment le président de la Commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire du Parlement européen, vit-il l’actuel mondial de football au Qatar – lui, l’amoureux du RC Lens et supporter de l’équipe de France ? "La beauté de l’affaire est que mon agenda s’est occupé de régler la question pour moi ! C’est un boycott de fait, non principiel."
Connu pour un pragmatisme qui a promu le militant écologiste en membre éminent de l’intelligentsia politique du Vieux Continent, pilotant désormais le Green Deal européen, Pascal Canfin pousserait-il le réalisme jusqu’à ses passions ? Un réalisme de tendance hyperactive, alors. Ancien salarié de la CFDT, journaliste chez Alternatives économiques, élu EELV et ministre de François Hollande, mais aussi fondateur de l’ONG Finance watch, président de WWF France et enfin podcasteur (« Transition écologique ») en marge de son activité au Parlement européen, il est aussi auteur : essais économiques, livre d’entretiens et même, récemment, un polar – soit autant de pierres semées depuis ses premiers pas dans le club « Témoin » de Jacques Delors. À cet égard, alors qu’il sort les livres qui seront le point de départ de l’entretien, je m’amuse du hasard de notre décor, entre mur de briques et grands miroirs ; la métaphore de cet itinéraire, depuis son nord natal à la scène politique et ses jeux d’illusion ? Comme souvent, nous trouverons une partie des réponses à travers les livres.
Pouvez-vous nous présenter les livres qui vous accompagnent aujourd’hui ?
Pascal Canfin : Pour notre entretien, j’ai choisi quatre livres qui, je crois, me résument assez bien : deux essais, un roman, une BD. Sans surprise, je vais commencer par ma lecture la plus écolo : « Effondrement », de Jared Diamond. Il est devenu un grand classique dans son genre, mais à l’époque il me fut offert par un ami à l’occasion de la naissance de mon fils, en septembre 2007. La dédicace : « Il y a plus gai comme cadeau de bienvenue, mais après tout il sera plus concerné que nous par le débat dont il est question ». C’était il y a quinze ans ! Aujourd’hui, on ne pourrait plus dire qu’on n’est pas concerné par de tels sujets. C’est une lecture très riche, passionnante, concrète, tant sur l’Île de Pâques que les Vikings ou les empires d’Amérique centrale – mais sans jamais tomber dans la caricature, le déterminisme, l’automatisme. Il montre que c’est un ensemble de causes qui conduit à l’effondrement d’une civilisation et que, parmi elles, se trouve la raréfaction des ressources. En toute lucidité, je pense que cela s’applique à notre propre civilisation, accro aux énergies fossiles. On se situe au cœur de la logique de Diamond : c’est ce qui fait la prospérité qui, surexploitée, devient l’une des principales causes de la disparition d’une civilisation.
La différence réside peut-être dans le fait que nous en sommes, nous, pleinement conscients.
Pascal Canfin : Chaque civilisation a du mal à imaginer qu’elle peut disparaître ! C’est, au fond, la question de la mort, y compris individuelle. On fait tout pour éviter de penser à notre propre mortalité. En tant que civilisation, c’est la même chose. Pourtant, cela peut nous arriver, mais il n’y a pas de déterminisme.
Cela correspond à mon état d’esprit politique, qui est de comprendre qu’il s’agit d’un sujet existentiel, sans tomber dans un sentiment collapsologue total, qui nous pousserait à s’installer dans une cabane au fond des bois, et de ne plus rien faire. La force de Jared Diamond est justement de montrer, aussi, des exemples de civilisations qui se sont adaptées, et ont réussi.
La peur de la mort est un tabou très occidental. Ailleurs, comme en Asie, comment la perception de notre propre finitude peut-elle influencer les choix politiques ?
Pascal Canfin : Les fondamentaux du régime chinois d’aujourd'hui sont basés sur la puissance. Et si en 2050, un siècle après la prise de pouvoir communiste, les critères de la puissance n’ont pas changé, restant géopolitiques, militaires, technologiques ou économiques, alors ils emprunteront le même chemin que les Occidentaux. J’aimerais me tromper mais je ne vois pas de différences fondamentales d’approche de la part du régime chinois.
Sauf qu’ils en subiront plus vite les conséquences.
Pascal Canfin : Justement : dans le système extraordinairement peu résilient qu’est la dictature communiste, les Chinois ont-ils la capacité de mettre sur la table d’autres critères de puissance ? Honnêtement, le mantra de Xi Chi Ping de « civilisation écologique » est-il un greenwashing à la chinoise ou un réel élément stratégique ? J’ai plutôt tendance à penser qu’il s’agit du premier.
Mais la leçon de Diamond est que l’histoire n’est jamais écrite à l’avance. Pour ma part, j’estime que c’est en Europe qu’on doit inventer le système de valeurs qui est adapté à une civilisation zéro carbone. C’est le cœur du Green Deal européen : inventer ce modèle de prospérité, en démocratie, avec un modèle social stable. C’est bien un enjeu civilisationnel.
Avec comme objectif de figurer dans la postface d’une réédition du livre de Jared Diamond ?
Pascal Canfin : C’est exactement ça ! (Rires) J’adorerais que l’Europe puisse trouver et diffuser la recette de la résilience face à l’effondrement.
Outre le thème écologique, avez-vous choisi « Effondrement » parce qu’il était symbolique du type de livres et d’essais que vous lisiez alors, en tant que journaliste ?
Pascal Canfin : Non, je lis toujours plus d’essais que de littérature. J’ai besoin de me nourrir de ce type de réflexions. En réalité, je l’ai pris parce que, dans mon parcours de vie, ce fut un vrai bouleversement. En lisant ce livre, je me suis dit : « mais c’est nous ! » J’estime que c’est une brique essentielle pour comprendre le monde tel qu’il est.
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