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Des boîtes pas comme les autres

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Cet été, le périple aoûtien de Tanguy Leclerc l’a emmené de la Charente-Maritime vers la Provence.  Chemin faisant, l’idée lui est venue d’ouvrir les boîtes à livres qu’il croiserait sur sa route et de vous en dévoiler le contenu. Une expérience savoureuse.

Photos Tanguy Leclerc

La France, pays aux mille fromages et aux 85 000 exploitations viticoles, ne nourrit pas que les corps. M’aventurer sur ses routes le temps de la transhumance estivale m’a permis de constater avec quel soin il se chargeait de sustenter l’esprit de ses fidèles habitants et de ses envahissants visiteurs.
Les boîtes à livres, nouveau garde-manger intellectuel de nos gloutons-congénères, fleurissent depuis quelques années un peu partout sur le territoire sous la forme de frigos, de ruches ou de champignons pour les plus originales. Plus généralement, elles sont conçues comme des perchoirs où les curieux viennent picorer les ouvrages que les généreux donneurs mettent à leur disposition. Le groupe Recyclelivre en comptabilise plus de 8 000 sur son site www.boit-a-lire.com.
Associations de quartier, simples particuliers, boutiques, mairies… quel que soit l’instigateur du projet, le principe est le même : basées sur l’échange, les boîtes à livres sont des points de convergence culturelle destinés à prolonger la vie des livres, susciter le goût de la lecture et créer du lien social. Bien sûr l’offre n’est pas très large et s’avère très disparate, mais l’essentiel n’est pas là. Ces boîtes sont l’occasion pour ceux qui n’ont pas les moyens financiers de s’acheter des livres d’avoir l’opportunité de s’ouvrir à la lecture. Et, pour les donneurs, de débarrasser leur bibliothèque sans rien jeter.

ÉTAPE 1 : MARDI 2 AOÛT, SAINT VIVIEN, CHARENTE-MARITIME, 1 226 HABITANTS.

Saint Vivien

Mon périple débute non loin de La Rochelle, à Thairé, commune au charme certain mais dénué de tout commerce valable. Pour le pain du p’tit déj, mieux vaut pousser par la D203E5 jusqu’à Saint Vivien, à 4 km de là. La boulangerie La Maison des Saveurs fait face à la mairie et à la boîte à livres qui la jouxte. Volumineuse, celle-ci renferme une bonne centaine d’ouvrages.
Le premier qui me saute aux yeux est une pépite : Le gros abécédaire de Jean-Marie Bigard, encadré par Rugby d’autrefois, de Jacques Verdier, et Autopsie du sport français, de Daniel Riolo. Ça sent bon le terroir, les brèves de comptoir et les joutes d’après-match au bistrot.
À bien y regarder, la boîte se révèle une véritable mine d’or pour les amateurs de sport ! À la volée, je pioche un Petit quiz de Roland-Garros, l’immanquable autobiographie de Gérard Holtz Je suis bien plus petit que mes rêves, Les années Saint-André, autopsie d’un fiasco, de Philippe Kallenbrunn, L’étonnante histoire de la Coupe du monde de football, de Peter Seddon, Qui a tué le maillot jaune ?, signé Christian Eclimont, l’émouvant Ma vie pour une étoile, d’Aimé Jacquet, La face cachée de Didier Deschamps, par Bernard Pascuito, et le truculent Sexus Footballisticus, de Jérôme Jessel. S’ajoutent à ces trésors les autobiographies d’Henri Leconte Ma vie de gaucher, et de Boris Becker Sans filet.Boîte Saint Vivien 2

Si je ne devais pas rapporter ces fichus croissants à la maison, je me plongerais avec délectation dans ces chefs d’œuvre oubliés, moi qui vibre à la moindre baballe effleurée et qui me remet à peine des trois semaines ébouriffantes que le Tour de France m’a offert en juillet.
De deux choses l’une, soit les habitants de Saint-Vivien sont des sportifs invétérés qui vouent un culte aux athlètes, soit l’un d’entre eux a été contraint – malgré lui, il ne peut en être autrement – de faire le ménage dans sa caverne à souvenirs.
Les malheureux locaux qui haïssent les sportifs peuvent fort heureusement pour eux s’en remettre à Jean Yanne et à son indispensable On n’arrête pas la connerie, ou à la douce plume de Macha Méril à travers son roman Les mots des hommes. Les plus nostalgiques sont invités à redécouvrir La petite fille aux yeux sombres, œuvre de jeunesse de Marcel Pagnol. Enfin, parce qu’il n’y pas que le foot dans la vie et que la musique adoucie les mœurs, je découvre avec joie que Viviannais et Vivianaises se voient offrir l’occasion de parfaire leur culture sur Serge Gainsbourg avec le remarquable Gainsbourg confidentiel, de Pierre Mikaïloff.
Enfin, j’espère que les curieux seront plus malin que moi : le livre La Mano Negra, que j’ai trop rapidement pris pour une biographie du premier groupe de Manu Chao, est en fait le brûlot que Roman Molina a consacré aux forces obscures qui contrôlent le football mondial. Heureusement que le ridicule ne tue pas…

ÉTAPE 2 : VENDREDI 5 AOÛT, LA JARRIE, CHARENTE-MARITIME, 3 336 HABITANTS.

La Jarrie

Ce qu’il a de bien dans nos villages, c’est que pour peu que l’on ait du bagou, à peine fait-on part d’une anecdote au premier commerçant venu que celui-ci s’empresse de l’enrichir avec une information qui vous avait jusqu’ici échappée. À Châtelaillon-Plage où je me prélassais devant une marmite de moules agrémentée d’un verre de Sauvignon exquis, un serveur à qui je faisais écho de mon enquête littéraire m’a orienté vers la commune de La Jarrie, distante d’une dizaine de kilomètres. « Une boîte à livres jeunesse y a été inaugurée pas plus tard qu’en juin, m’apprend-t-il. Vous ne pourrez pas la rater, c’est un panda ! ». En route pour La Jarrie, donc, où un monsieur panda me fait effectivement face rue de l’alerte. Trait d’union entre la médiathèque, la Maison des associations, le local jeunes et l’école maternelle, cette boîte à livres est une vraie réussite.

Boîte à Lire La Jarrie

À l’intérieur, trois étagères sur lesquelles est disposé en vrac de quoi éveiller la curiosité des enfants.  Les recueils de contes y sont à foison, tout comme quelques classiques de la littérature jeunesse : une vieille version Folio de Vendredi ou la vie sauvage, de Michel Tournier, côtoie un exemplaire encore plus ancien d’Heidi, de Johanna Spyri. Une version Pocket de Phèdre attend les jeunes lecteurs accomplis, tout comme la nouvelle Ondine au fonde de l’eau, signé Dumas. Philippe, pas Alexandre… Alibaba et les Quarante voleurs, Les aventures de Don Quichotte, Le club des 5 sont également de la partie. Les amateurs d’ouvrages contemporains se rabattront quant à eux sur les romans d’ados L’enfant du scandale, de Barbara Delinsky, Obsession, d’Elise Title, ou l’intriguant Virus L.I.V.3 ou la mort des livres, de Christian Grenier. Une mort qui, en ce été 2022 n’est pas d’actualité malgré la vétusté des ouvrages disponibles, pas plus que celle du panda savant qui a trouvé refuge ici. La Jarrie leur offre une nouvelle vie, et c’est tant mieux.

ÉTAPE 3 : JEUDI 11 AOÛT, SAINT-RÉMY-DE-PROVENCE, BOUCHES-DU-RHÔNE, 9 769 habitants.

Saint Rémy De Provence

« Beau chemin n’est jamais long » dit un proverbe provençal. C’est encore plus vrai lorsqu’il vous mène à Saint-Rémy-de-Provence. Sa lumière, ses ruelles ombragées et ses parfums d’été vous envoûtent en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Pas étonnant que van Gogh y soit venu puiser l’inspiration. Saint-Rémy est une citée pleine de surprises, et sa boîte à livres ne déroge pas à la règle. Adossée à l’office du tourisme, elle ne paye pas de mine. Pourtant, à peine ouverte, c’est la stupeur ! Son petit espace est envahie par un volumineux exemplaire de l’encyclopédie contemporaine intitulé La chute du nazisme. L’énorme croix gammée qui orne la couverture m’explose à la figure. On est bien loin de la beauté de « La nuit étoilée » peinte ici par van Gogh en 1889. Qu’est-ce que cet ouvrage vient donc faire dans cette boîte ? Il faut être un drôle de zèbre pour se convaincre que les habitants et les touristes du coin auront envie de se farcir, bercés par le chant des cigales, ce pavé. Passée cette faute de goût, je découvre une variété d’ouvrages qui reflète assez bien la diversité des profils qui arpentent la petite capitale des Alpilles. Le Lion de Kessel trône en bonne place aux côtés de La bourelle, de Bernard Clavel et d’une biographie de l’artiste peintre Séraphine de Senlis. Les touristes désireux de cerner la French touch se rabattront aisément sur l’inestimable La vie sexuelle en France, de la sociologue Janine Mossuz-Lavau. La Provence étant aussi attractive pour son soleil que pour son vignoble, je trouve quantité d’ouvrages sur le vin dont une édition de 1970 du Livre des Boissons, de Fernand Lequenne (éditions Robert Morel).

Boîte Saint RémyUn livre atypique puisque sa reliure est faite de toile et que le livre est fermé par un bouchon de liège qui fait office de marque page. L’inventaire serait incomplet sans l’incontournable Restez jeune en mangeant mieux, de Michel Montignac, qui sonne comme un rappel à l’ordre pour celles et ceux qui abuseraient des bienfaits de la terre.

Juste avant de refermer la boîte, je saisis un ultime bouquin masqué par l’épais Shogun, de James Clavell, le scénariste du film « La grande évasion ». Et sur quoi croyez-vous que je tombe ? Adolphe, de Benjamin Constant ! Une telle coïncidence ne s’invente pas. Dans mon esprit, il ne fait aucun doute que Saint-Rémy-de-Provence abrite un esprit taquin qui se joue de ses co-administrés. Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire devant pareille audace.

ÉTAPE 4 : DIMANCHE 21 AOÛT, LA CIOTAT, BOUCHES-DU-RHÔNE, 35 993 HABITANTS.

La CiotatBerceau du cinéma et de la pétanque, La Ciotat a longtemps renvoyé l’image d’une ville endormie après la fermeture de ses chantiers navals en 1989. Désormais utilisé pour la maintenance des yachts de luxe, le site industriel est redevenu une place forte de la Méditerranée et la cité portuaire s’est imposée comme un point de passage obligé sur la route qui vous mène de Marseille à la Côte d’Azur. Sur le port, on trouve les emblématiques pointus des pêcheurs locaux, mais pas de boîte à livres digne de ce nom. Je décide donc de me rabattre sur le Café de l’Horloge, 7 rue Arnoux, derrière l’église Notre Dame de l’Assomption. Cet établissement emblématique de la ville a la particularité de vous servir un livre avec votre consommation lorsque vous vous y attablez. Il dispose surtout d’un coin lecture, créé en partenariat avec Emmaüs, qui se veut un lieu d’achat solidaire : les livres déposés par la communauté y sont vendus entre 0,50 et 1€ et les bénéfices lui sont entièrement reversés.

Café Horloge 2Bien plus riches qu’une simple boîte à livre, les rayonnages vous offrent un vaste choix de bouquin : Les Misérables (Hugo), Tartarin de Tarascon (Alphonse Daudet), Les noces barbares (Yann Queffélec), La bicyclette bleue (Régine Deforges), Le miroir aux espions (John Le Carré), Brodway (Fabrice Caro), plusieurs San Antonio et quelques tomes de la bibliothèque verte captent ainsi mon attention. Je finis par m’installer à une table avec l’inévitable Le bonheur en Provence, de Peter Mayle, histoire de dénicher une ou deux idées de balades dans la région. Camille, la patronne, m’indique qu’une boîte à livre existe du côté de Ceyreste, au-dessus de la ville. Mais ce sera pour une autre fois. Je suis trop bien, tanqué en terrasse. « Il ne fait pas bon travailler quand la cigale chante », dit-on par ici, et ma chronique est d’ores et déjà bouclée.

Toutes les enquêtes d’Ernest sont là.

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