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François Hollande : “La légende est meilleure racontée par d’autres”

2021.12.08 François Hollande Web 36

Un président de la République en fonction a-t-il le temps de lire ? La fiction fait-elle partie de sa vie ? La littérature est-elle un outil pour prendre de la distance ? Guillaume Gonin est entré dans la bibliothèque de François Hollande dans laquelle les innombrables essais côtoient Stefan Zweig. Visite guidée.

Photos Cyril JOUISON

2021.12.08 François Hollande Web 23Une lumière aveuglante inondait la cour des Invalides. Le Gouvernement attendait l’arrivée du chef de l’État, tandis que toutes sortes d’élus, de personnalités et de dignitaires étrangers patientaient dans la fournaise. Le débit de mitraille des photographes révélait l’arrivée de tel invité de marque ou telle poignée de main équivoque, comme entre Nicolas Sarkozy et le jeune ministre dont les ambitions s’affirmaient de jour en jour, Emmanuel Macron. Derrière eux, l’aspirant que j’étais avait trouvé une place parmi les députés et sénateurs, ému d’assister à cette cérémonie. Nous étions le 2 juillet 2016, et nous rendions un ultime hommage à Michel Rocard, disparu quelques jours plus tôt. Soudain, toutes les têtes se tournèrent vers la droite : le cortège présidentiel faisait irruption. Sortant d’une DS grise, François Hollande s’élança vers nous. Pour la première fois, il m’était donné d’observer un président de la République en exercice. Était- ce la grandeur des lieux, la fanfare républicaine ou la solennité de l’instant ? Toujours est-il qu’il me fit forte impression ; avec ses gestes empreints d’allant et de rondeur, je me surprenais à lui prêter de faux-airs de Georges Pompidou.
Au moment de prendre place dans le bureau de notre invité, ce premier souvenir en bouscule d’autres. La voix légèrement enrouée, François Hollande dissipe ces bribes d’un quinquennat déjà loin, posant ses mots avec précaution, prenant le temps de la réflexion. La trace d’une certaine pudeur chez celui qui a pris l’habitude de dérouter les portraitistes ? Sous une figurine de François Mitterrand, le surplombant depuis la cheminée, il n’est pas impossible que l’autre président socialiste de la Ve République y prenne un malin plaisir.

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A vous lire, vous ne sembliez malheureux ni comme président, ni comme ex-président. Un ancien président heureux, est-ce quelqu’un 2021.12.08 François Hollande Web 01qui écrit ?

François Hollande : Permettez-moi une distinction. Je peux être heureux d’avoir exercé cette fonction, qui est la plus haute responsabilité, heureux d’avoir représenté la France, heureux dans ma vie personnelle.

Mais je ne suis pas heureux de la situation de notre pays, comme je n’ai pas pu être heureux des divisions que traverse ma famille politique durant mon mandat et que dire de la douleur que j’ai partagée lors de la vague d’attentats commis sur notre territoire. Je voudrais donc distinguer une forme d’optimisme, de la volonté, propre à ma nature aussi, d’une forme de décence que je souhaite conserver face aux drames, jusqu’à cette crise sanitaire qui nous oblige.

Mais, dans cette perception des choses, quel rôle a joué pour vous l’écriture ?

François Hollande : L’écriture n’est pas un exercice facile, il ne me suffit pas de laisser aller mes pensées au fil de la plume. C’est un travail. Mon premier livre, « Leçons du pouvoir », était d’une certaine façon plus facile puisque je revenais sur des événements, des rencontres, et le récit de mon mandat présidentiel. Je décris ce que représente la présidence de la République dans le monde moderne. Celui-ci, « Affronter », fut plus difficile à écrire parce qu’au-delà du début qui correspond à la description de la confusion actuelle et des personnages qui en sont les acteurs principaux, j’y développe des propositions sur des sujets aussi variés que la sécurité, la grande mutation écologique ou la construction européenne. C’est donc un exercice qui nécessite une documentation importante.

Comment définiriez-vous ce style littéraire, entre essai, souvenirs, chroniques …?

2021.12.08 François Hollande Web 09François Hollande : Il y a en réalité plusieurs livres dans ce livre. Le premier correspond à un jugement sur notre vie politique à travers une galerie de portraits des prétendants à la fonction présidentielle. Ces passages n’auraient certainement pas vu le jour si mon ouvrage avait été publié, comme prévu, en avril. Peut-être me serais-je limité à tracer le bilan du président Macron, et à évoquer la trace laissée par mes prédécesseurs.

Mais le temps passant, des personnages surgissaient à mesure qu’ils se déclaraient et une partie de mon été fut finalement consacrée à cette longue introduction. Un autre « livre » concerne la gauche : je l’ai rédigé assez tôt, réfléchissant depuis des années sur les tensions immuables qui la fracturent. Et puis, une troisième partie sur les propositions, ce qui m’a amené à travailler sujet par sujet. Enfin, j’aborde les menaces qui pèsent sur l’équilibre du monde et l’absence de l’Europe.

Vous l’avez écrit un peu à l’envers, finalement.

François Hollande : Oui ! A un moment, je me suis même demandé s’il ne valait pas mieux mettre les portraits à la fin, tant les commentateurs ne risquaient de ne retenir que cela. Je voulais les astreindre à découvrir les propositions. (Rires) C’était une cause perdue.

A lire les portraits, on sent un plaisir à l’écriture. Après tant d’années à lire vos portraits dans la presse, aviez-vous envie de passer de l’autre côté du miroir ?

François Hollande : Je ne voulais pas infliger aux autres ce que j’avais moi-même subi. J’ai essayé d’être plus subtil, même si j’ai pu laisser un 2021.12.08 François Hollande Web 31trait féroce au milieu de descriptions plus avantageuses. Quel intérêt de faire des portraits à charge ? C’est pourquoi les lecteurs ont été surpris par ce que j’ai pu écrire sur Nicolas Sarkozy, par exemple. Car, au-delà des personnes, l’essentiel est de parler des idées.

Chacun les incarne sur la scène politique à sa manière. Je n’aurais jamais imaginé évoquer les parcours de messieurs Ciotti, Retailleau ou Wauquiez, par exemple. Pourtant, ils révèlent l’évolution de la droite française. En ce qui concerne Zemmour, qui est un personnage dont je connais les outrances, depuis longtemps, je fais apparaître ses limites. Le danger réside moins dans ce qu’il dit que dans ce qu’il représente.