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La plume tranquille

Umberto GQ4VBpgPzik Unsplash

Cette semaine, alors que l’actualité égrainait son lots d’inepties, d’âneries et de superficialités devant nos yeux ébahis et anesthésiés de s’habituer à autant de nullité, plusieurs pensées ont gagné l’auteur de ces lignes du dimanche. D’abord une irrépressible envie de tout abandonner là, de partir ailleurs, de ne plus rien écouter ni ne rien entendre, de se retirer finalement du monde. Avouez que c’est tentant, non ? De prendre quelques bouquins, quelques bonnes bouteilles de whisky, une moto, de la musique, beaucoup de musique et de disparaître. Un temps. Car, inévitablement, les amis, les amours viennent alors à être désirés. Comme souvent dans ces moments cotonneux, des notes ont résonné. Celles d’un vieux du rock qui revient avec un album qui – contre toute attente – swingue. Neil Young est là. Et même si on n’est pas à moto, avec les quelques cheveux qui nous restent au vent, on a l’impression, grâce à l’harmonica “youngesque” de voyager. Un peu. Comme toujours, dans ces moments cotonneux, des mots familiers. De ceux des auteurs et des autrices que l’on aime sont venus apaiser les tourments.

Et comme souvent, alors que les ténèbres paraissent lourdes, si l’on cherche bien, et que l’on se donne la peine de regarder vraiment, des éclaircies sont là. Elles venaient, notamment, cette semaine d’Oslo où Maria Ressa et Dimitri Mouratov ont été couronnés par le prix Nobel de la Paix.
En lisant le discours de Mouratov, des larmes. “Je veux que les journalistes meurent vieux” a déclaré le rédacteur en chef du journal russe d’opposition Novaïa Gazeta. En lisant ces mots, des images : celles des dessinateurs et des journalistes, tués en France le 7 janvier 2015 dans la salle de rédaction de Charlie Hebdo. Celles de tous ces journalistes morts dans l’exercice de leur métier d’informer les citoyens que nous sommes. Vendredi, Mouratov a aussi parlé de la condition des journalistes russes. De la façon dont cette dictature (oui c’est le mot qui convient quand des journalistes sont empêchés de faire leur travail, tués, ou emprisonnés) qu’est la Russie traite la notion même d’information. Se dire qu’il ne faut jamais oublier cela quand il est question de géopolitique…
Sa colauréate, la journaliste philippine Maria Ressa, dirigeante de Rappler, un site très critique du président philippin est sous le coup de sept poursuites judiciaires dans son pays qui pourraient lui valoir au total une centaine d’années de prison. Condamnée pour diffamation l’an dernier mais en liberté conditionnelle, elle a été contrainte de demander à quatre tribunaux la permission d’aller chercher son Nobel.

En lisant ces moments de remise de prix, d’autres pensées, et convictions sont venues. D’abord celle qu’au fond, journalisme et littérature, ont des vocations cousines. Faire partager aux lecteurs et aux lectrices – par le récit – une expérience sensible qui pourra, peut-être, modifier ou du moins rendre plus complexe et donc plus intelligente leur perception du monde. En se disant cela, c’est l’actualité autour du tout récent prix Goncourt qui est venue nous percuter. “De purs hommes”, le premier livre de Mohamed Bougar Sarr, est un livre sur l’homophobie au Sénégal, sur l’obsession, sur les précipices longtemps frôlés, et où l’on finit par tomber. C’est avant tout un texte magnifique, étouffant, impitoyable.

En 2018, De purs hommes n’avait pas été publié au Sénégal. Depuis l’attribution du Goncourt à l’auteur pour “La plus secrète mémoire des hommes(nous vous en parlions ici), il a été publié et il déchire l’intelligentsia sénégalaise. Mbougar Sarr est accusé de faire la propagande des “lobbys LGBT”,  “Si l’on suit cette logique, dans quarante ans, nos enfants vivront avec l’homosexualité. C’est le début de la décadence de la société sénégalaise”, soutient le professeur Niang, enseignant d’histoire-géographie, cité par Libération. Certains textes (articles, romans etc…) changent à jamais leurs lecteurs, ou tout un pays.

Écrivant ces mots, ce sont d’autres mots qui viennent en tête, ceux de Joseph Kessel, reporter qui changea à jamais les regards de ses contemporains. Lors de son élection à l’Académie française il dit ceci : “Pour remplacer le compagnon dont le nom magnifique a résonné glorieusement pendant un millénaire dans les annales de la France, dont les ancêtres grands soldats, grands seigneurs, grands dignitaires, amis des princes et des rois, ont fait partie de son histoire d’une manière éclatante, pour le remplacer, qui avez-vous désigné ? Un Russe de naissance, et juif de surcroît. Un juif d’Europe orientale… vous avez marqué, par le contraste singulier de cette succession, que les origines d’un être humain n’ont rien à faire avec le jugement que l’on doit porter sur lui. De la sorte, messieurs, vous avez donné un nouvel et puissant appui à la foi obstinée et si belle de tous ceux qui, partout, tiennent leurs regards fixés sur les lumières de la France.”

Quelle meilleure réponse à la bêtise des reconquêtes rances ? Quelle meilleure réponse à l’essoufflement de nos vies individuelles et collectives ? Quelle meilleure réponse que celle des mots ? Ceux des artistes, des poètes, et des journalistes.
Je ne sais pas vous, mais songeant finalement à tout cela, la moto est restée au garage. La musique, elle, a quand même résonné.

Des armes au secret des jours,
Sous l’herbe, dans le ciel, et puis dans l’écriture,
Des qui vous font rêver très tard dans les lectures,
Et qui mettent la poésie dans les discours.

Bon dimanche avec des mots, les amis.

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