François Simon est critique gastronomique, auteur, c’est un esthète de la vie et des belles choses. Son dernier livre “Le silence de l’amour” nous emmène au Japon. Avec John Lennon et Yoko Ono. Nous l’avons rencontré, non pas au Japon, mais au jardin du Luxembourg pour une discussion sur le pouvoir de la littérature, sur Lennon, sur la bouffe, sur les pages des Pléiades, sur les ennemis, et tout simplement sur la vie. Passionnant.
« RDV devant la fontaine Médicis au jardin du Luxembourg à 11h ». Le SMS de François Simon, critique gastronomique et littéraire masqué était clair. A l’heure du rendez-vous, alors que l’on s’extasiait – comme à chaque fois – de la beauté du lieu et de l’art de vivre de celui qui nous avait donné rendez-vous ici, un homme habillé en noir nous aborde : « Nous avons rendez-vous, je crois ». En effet. C’est bien la voix de François Simon. Celle que l’on entendait dans Paris Dernière. Celle de ses chroniques vidéos maquées dans les restaurants de France. C’est un mercredi matin de fin septembre. Il fait beau. Une atmosphère d’été indien plane sur Paris. Nous marchons avant de nous installer confortablement sur les délicieux fauteuils Luxembourg célèbres dans le monde entier.
Rencontrer François Simon est un ravissement tant on s’est rendu compte en préparant l’entretien qu’il a compté aussi dans notre construction. Le goût de la gastronomie. De la fête dans Paris Dernière. Dans une forme de langueur et de savoir-vivre. François Simon est un auteur prolifique. Des essais, des livres culinaires, mais aussi des romans. « Dans ma bouche », « Toscanes » notamment. D’un “dictionnaire de savoir (bien) vivre” aussi, véritable manifeste hédoniste dans lequel chacun et chacune piochera un point commun avec l’esthète Simon qui écrit notamment dans ce dico des choses qui rendent heureux : « Mettre des livres encore frais un peu partout dans la maison. Pour qu’ils nous attendent… »
Ce matin-là dans les fauteuils Luxembourg, alors que le soleil chauffe les visages et le dos, il est question du dernier livre de François Simon : « Le silence de l’amour », paru chez Les Equateurs. Le livre raconte l’histoire du narrateur qui part sur les traces de John Lennon et Yoko Ono qui passèrent plusieurs étés au Japon. Coupés du monde. Comme en introspection. L’écriture est douce, feutrée, pleine d’humour et remplie des recherches du narrateur pour savoir ce que le Japon apporta à Lennon, l’idole de sa jeunesse qu’il copia jusqu’à épouser lui-même une japonaise. « Si j’ai attendu aussi longtemps pour écrire ce livre, c’est parce qu’un livre a sa propre vie. Certains vous arrive d’un coup sans crier gare d’autres qui cheminent longtemps car ils remontent loin. En cheminant, ces livres se dépouillent et s’enrichissent », embraye Simon alors qu’on l’interroge sur le pourquoi du comment de ce livre maintenant.
Il poursuit : « Ce livre est l’histoire de Ono et Lennon en vacances, qui n’étaient pas reconnus, étaient peinards et ne faisaient rien. Au départ, personne n’a envie de lire cela. En grattant, j’ai trouvé un os. Cet os c’était moi. Il fallait donc que j’y aille. Il y avait beaucoup de similitudes et de jeux de miroirs entre lui, Karuizawa et moi. C’est la ville où est née la mère de mes enfants ».
« La culture japonaise. Pour lui comme pour moi a été source de dépouillement. Il est devenu maigre. Il a arrêté de battre les femmes. Il est devenu pacifiste. Yoko Ono avait des qualités, quoi qu’on en dise. De mon côté, je me suis apaisé. J’ai appris à vivre autrement. »
Mais au fond, alors que la poésie irrigue notre rencontre, une question demeure. Pourquoi Lennon ? « J’ai toujours aimé son côté rébellion. Des gens qui chantaient vite et fort. Je suis né dans une famille petite bourgeoise d’une petite ville ouvrière. J’aurais dû être l’enfant de mes parents. Lennon m’a donné un goût d’amertume et de rébellion. Au départ des Beatles, Lennon était ce leader. Cela correspondait à la nature de ma ville natale, Saint-Nazaire, qui a bien des égards, ressemble à Liverpool. Ville portuaire, ouvrière, âpre et chaleureuse à la fois. A l’époque, les chanteurs étaient nos copains. Ils nous inspiraient. C’était l’époque. Les gens ressentent beaucoup leur époque. Les Beatles se sont décalqués sur moi. J’ai vécu leur séparation aussi durement que le divorce de mes parents. En même temps, la réalité c’est que nous avions plusieurs albums au lieu d’un seul. Il y avait un côté joyeux là-dedans. » La séparation des Beatles l’aurait même « aidé à se mettre en marche. A se mettre en mouvement. A savoir que même les ruptures sont surmontables. »
“Il faut prendre le miel de nos modèles”
Comme dans ses livres, ses chroniques, ses écrits, discuter avec François Simon se fait en vagabondant d’un sujet à l’autre. Disserter sur Lennon et les Beatles nous emmène sur l’époque. Celle d’hier, celle d’aujourd’hui. Sur ce qu’épouser son temps signifie. « Je crois qu’il est important d’accueillir les héros de son époque : astronaute, chanteur, footballeur, politicien, cuisinier, écrivain, et de prendre ce qui nous intéresse et de récupérer un peu du courage de ceux qui ont osé. C’est bien de prendre son miel des gens. Lennon m’a apporté l’ironie. Le côté rebelle et iconoclaste et d’être un peu en rupture. Ce fut mon miel. » Le livre est une forme de remerciement à ce que Lennon lui a apporté. « Une sorte d’hologramme s’est glissée dans mon champ visuel et la femme asiatique est devenue pour moi un paradis lennonien. Ce n’est pas un hasard que ma vie se soit rapprochée du Japon. Presque naturellement. »
Dans le livre il raconte le cheminement sur les traces des Lennon. On s’interroge : quelle est la part du journalisme et des hypothèses ?
« J’ai vraiment enquêté. Car je m’ennuyais un peu là-bas quand même. Cela m’amusait de chercher les signes, les indices. Je ne voulais pas faire une étude fouillée sur Lennon. Je voulais laisser du flottant dedans. Il suffisait de raconter ma quête. De raconter les achats de cigarettes, les balades au bord du lac etc… Mon livre n’est pas un livre à thèse qui dirait que le Japon a changé Lennon. C’est un livre d’atmosphère qui donne des pistes. A chacun d’établir ensuite ses croyances. »
Tout naturellement, alors que l’on parle de musique, d’art, et de culture japonaise, la conversation s’arrête sur les livres. La littérature. Sur les premiers émois littéraires de Simon. « Je me souviens, j’avais 16 ans. Je m’essayais à tout. A Sartre, à Thomas Mann. Plus tard à Derrida, à Deleuze. On lisait tout le temps. La lecture était une valeur sacrée. Il y avait Apostrophes. J’ai lu Modiano, Le Clézio aussi. Alexandre Vialatte également. L’époque était profondément portée sur la lecture. Il y avait un culte que l’on vouait aux livres. Aujourd’hui, les choses sont différentes. Mes enfants lisent peu. Ils se cultivent différemment. Leurs imaginaires et leurs valeurs sont toutes autres que les nôtres. »
Lecteur compulsif. « Il y a des livres partout chez moi ».
Se rendre compte que la lecture peuple la vie de François Simon. Le jour du rendez-vous, il a un petit sac. Dedans, six journaux et trois livres. « Je lis en permanence. Tout le temps. Sur mon plumard quand je dors tout seul, il y a cinq ou six bouquins. Il y en a partout chez moi. Dans les toilettes, sur mon bureau, j’en laisse aussi sur le cheminement de la maison pour que les livres m’appellent. Je jalonne la maison de livres. En ce moment sur mon lit, il y a le « Bleu du ciel » de Bataille que je relis, avec également la « Part maudite » ; il y a aussi un livre japonais magnifique « Âme brisée », « Odes » qui est d’une subtile poésie, j’ai ressorti également un Roland Jacquard qui vient de se suicider. »
Mais au fond, comment François Simon qualifie-t-il le moment de la lecture ? « Lire c’est aller dans un autre imaginaire. Quand je ne vais pas bien je ne lis pas. Cela me fait prendre conscience d’un état d’âme pas folichon. Lire c’est donner une place à l’imaginaire, à notre capacité à s’intéresser aux autres, à la façon dont ils pensent et ils vivent. Quand on est trop égocentré, on ne lit plus. » Entre douceur et vivacité du propos, Simon s’anime quand on évoque avec lui l’idée selon laquelle les gens ne lisent plus car leur attention est trop sollicitée par ailleurs. « C’est un peu facile. Non ! Si tu as envie de lire, tu lis. C’est quoi ton problème ? Tu as un poil dans la main ? Il y a une forme de complainte permanente et ostensible et les gens trouvent de sacrées bonnes excuses pour ne rien faire : ne pas lire, ne pas écrire, ne pas prendre de risque, ne pas aller faire la cour à la personne dont on rêve etc… »
Il poursuit : « Au fond, nous sommes dans une société où l’on est libres. De son malheur. Pendant les années 80, j’étais libre d’être malheureux. Il y avait quelque chose de passionnant dans la mélancolie et la souffrance. La mélancolie est une sorte de lampe de poche, comme la tristesse ou le chagrin. Ce sont des champs perspectifs intéressants. J’aime aussi quand je suis exaspéré, car il y a une forme d’énergie divine là-dedans. Je crois que l’on est suffisamment peureux pour ne pas aller jusqu’à s’autodétruire. »
Lecture et nourriture : même combat ?
Autour de nous, des runners, des amies qui parlent fort, des amoureux, des parents isolés avec leurs enfants mercredi oblige. Et une discussion avec Simon qui continue de virevolter entre sensualité, poésie, intelligence et humour. « La lecture nécessite une générosité dans l’abandon. Il faut cultiver une certaine humilité et écouter la musique de l’auteur. Il faut mettre les instruments de mesure à zéro. Je fais pareil dans les restaurants d’ailleurs. »
Je tente l’analogie entre bouffe et littérature. « On peut tenir la comparaison longtemps, oui. Mais je ne sais pas si cela vaut le coup. J’aime les domaines et les codes précis de chacun. Bouffer, il y a une forme de bonheur immédiat qui s’efface. On pourrait aussi faire des contrepoints. On peut lire abondamment, mais pas manger abondamment. Le parallèle est intéressant, mais j’aime identifier des plaisirs différents avec leur propre vocabulaire ! »
« Les pages des Pléiades sont tendres »
Alors, jouons au vocabulaire. Quels mots pour qualifier le plaisir de la lecture ?
« J’aime ne pas pouvoir trouver des mots de suite. La nourriture, on trouve des mots facilement. Cela enveloppe, cela densifie, c’est jouissif, c’est sensuel. La lecture est plus subtile. Cela nous prive de mots. On se tait et on écoute. On est en position d’accueil. On écoute le bruit des pages qui se tournent. J’ai travaillé là-dessus cet été. J’ai étudié le bruit des pages que l’on tourne. Un livre n’est pas silencieux. Il y a une rythmique. J’aime tourner les pages, cela signifie que l’on avance, que l’on progresse. On sait que l’on se rapproche de la nuit quand on lit dans son plumard. Il y a des beaux papiers. J’aime les pages de la Pléiade. Elles sont tendres. »
« J’achète beaucoup de livres. Je dois avoir environ 10 000 bouquins dans ma bibliothèque à la campagne. Je les ai presque tous lus. J’aime relire les livres car j’aime savoir pourquoi les choses m’ont plu à un moment donné de ma vie. En relisant le « Bleu du ciel » de Bataille que j’avais lu dans mes jeunes années, je sais que j’avais dû être fasciné par la liberté des scènes de sexe chez Bataille. Aujourd’hui, en relisant, je rigole en regardant ce jeune homme que j’étais et je découvre d’autres plaisirs dans ce livre. » Il confie : « Je fais pareil avec la musique. Je redécouvre les choses en permanence. »
« J’ai offert un dictionnaire érotique au nouveau mec de mon ex ».
Offre-t-il des livres ? « Oui, mais c’est le cadeau des paresseux. » Pourquoi ? « Je le faisais souvent, on pense à la personne, certes, mais on pourrait se creuser un peu plus la tête. Les vrais cadeaux, qui sont vraiment bien pensé, on n’en reçoit pas souvent. Ceci dit j’ai aussi beaucoup offert des livres que j’aimais. Pour partager. Une fois j’ai offert un livre d’Agnès Giard « Dictionnaire de l’érotisme japonais ». Un livre illustré magnifique. Je l’ai offert au nouveau compagnon de mon ex-japonaise. Je pensais que cela lui plairait. Il m’a envoyé bouler en me répliquant : « Je ne vois pas la femme comme ça ! Il était très fâché. Mais il n’était au fond pas très intelligent ». Le rire nous prend. Un bon moment. Et nous terminons notre échange avec des questions plus légères.
Premier orgasme littéraire ? « C’est Pagnol. Le château de ma mère. C’était un véritable enchantement. J’adorais la fluidité du texte, le climat des mots. Cela me parlait bien. J’aimais la musique de ce livre. »
Le livre qu’il offre à un premier rencard. « Le mien bien sûr ! (Rires) ». Plus sérieusement, Simon malicieux raconte : « Oui cela m’arrive. Car j’aime déstabiliser les gens par des cadeaux. Il m’arrive d’offrir des livres au premier rendez-vous. Certains sont sidérés, le cadeau les déplace. L’entretien ou la rencontre se passe alors très bien. Je fais ça pour des rencards amoureux ou professionnel. Quand on casse le rapport de journaliste à star. Cela casse les codes et cela donne de meilleurs articles. C’est intentionnel de ma part et le variateur des réponses est plus haut. »
Le livre qu’il partage avec la personne qui partage sa vie ? « Non. Et je suis content car je n’attends pas du couple une relation gémellaire mais l’attraction de la différence. Plus nos livres sont différents, mieux je me porte. »
Un livre pour le meilleur ennemi ? « Les gens que je déteste, j’ai appris à les laisser loin. C’est important d’avoir des détestations, car cela aide à savoir où l’on veut aller. Zéro bouquin pour eux. Ou alors un Larousse en pleine gueule, mais c’est déjà beaucoup leur donner ! »
Au bout de plus d’une heure de discussion, la rencontre fut belle. Nous échangeons encore en marchant vers la sortie du jardin du Luxembourg. Il faut lire François Simon.
Photo de Une @MaximeAntonin
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