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Courses de fond

Jenny Hill MQVWb7kUoOE Unsplash

En ce dimanche matin, vous revenez peut-être de votre petit jogging dominical ou de votre grande course à vélo. Vous êtes essoufflé et en sueur. Ou alors vous êtes encore au lit ou au petit déjeuner. Choisis ton camp camarade… Cependant, rien de tel qu’une bonne séance de cardio ou d’endurance pour se remettre d’aplomb et cuver les excès de la veille !

Chers ernestiens et ernestiennes, vous aussi vous faites peut-être partis des run (ou bike) addict qui adorent manger du bitume ou bouffer des kilomètres. Durant ce moment la question du pourquoi courez-vous vous a peut-être, d’ailleurs, effleuré l’esprit. C’est normal, c’est sain. Rassurez-vous, vous n’êtes pas seuls, et c’est même un excellent sujet d’écriture. En effet, littérature et running ne sont pas du tout incompatibles, loin de là ! La course a inspiré des ouvrages magnifiques à de grands écrivains comme Jean Echenoz qui dans « Courir » a romancé la carrière du légendaire coureur tchèque Emil Zatopek. En 1952, lors des Jeux Olympiques d’Helsinki, il arrache à quelques jours d’intervalle le 5 000, le 10 000 mètres puis le marathon, exploit encore inégalé à ce jour. En littérature, ça serait un peu comme remporter un Pulitzer, un Goncourt et un prix Nobel la même année, ce qui n’est pas près d’arriver. Autre ouvrage remarquable, celui de Sylvain Coher, qui dans “Vaincre à Rome” revient sur la victoire de l’éthiopien Abebe Bikila dans la capitale italienne en 1960. Soldat éthiopien courant pieds nus, l’athlète fascine et le romancier se fait voix intérieure pour nous faire partager le déroulement de la course, son tracé, le rythme des foulées, les coups d’accélération et la sidération des adversaires. Symboliquement, cette victoire est la revanche d’une nation nouvellement indépendante sur son ancien colonisateur.

Il y aussi l’écrivain runner qui trouve dans la course l’hygiène et l’énergie qui lui permettent d’écrire. Soyons honnêtes, ils sont peu nombreux. Si Hemingway pratiquait la boxe et Albert Camus le football, peu d’auteurs se sont fait remarquer par leurs foulées de gazelle. Imaginons, un 5000 mètres entre Houellebecq et BHL, ça pourrait être drôle… mais je m’égare. C’est ainsi que le japonais Haruki Murakami, a rédigé une remarquable “autobiographie de l’auteur en coureur de fond” dans laquelle on découvre sa fidélité à ses Mizuno et à son Walkman, ses séances d’entraînement en hiver à Boston et son régime alimentaire aussi strict que précis. Contrairement à la réputation de débauche qui colle aux écrivains, Murakami s’est forgé une hygiène de vie ascétique (terminé les saké et les club de jazz !) lui permettant d’écrire beaucoup et longtemps à l’image des marathons et ultra-marathons qu’il a déjà parcourus.

Mais l’écriture d’un ouvrage n’est-elle pas, par définition, une course de fond ? Ne corrige-t-on pas des épreuves juste avant de donner un bon à tirer ? Ne trouve-t-on pas dans l’écriture et la course une forme de solitude intérieure permettant de se dépasser ? A ce stade, une interrogation affleure pour l’auteur de ces lignes. Aurait-on perdu toutes celles et tous ceux qui ne sont pas clients de course à pieds. Chers amis rassurez-vous, vous êtes aussi des coureurs de fond. Car ce que la course charrie avec elle c’est aussi cette capacité à se réapproprier le temps. A savoir s’accorder de précieuses minutes, voire de précieuses heures pour remettre de l’ordre dans ses pensées.

Tous et toutes des coureurs de fond, en ce sens, que chacun et chacune d’entre nous porte en lui ou en elle cette volonté humaine, nous pourrions même parler de nature humaine, de se surpasser, de ne pas abdiquer et de défendre ce en quoi on croit. Tiens, cela nous amène à deux autres courses de fond. L’une que nous pratiquons. Celle de la lecture. Qui devient depuis cette semaine grande cause nationale. C’est à la fois positif et tout de même un peu effrayant. Sommes-nous à ce point devenus analphabètes qu’il faille que l’État fasse de la lecture une grande cause nationale ? Dans la lecture d’un roman, dans l’appropriation d’un univers auquel se livre le lecteur, il y a une forme de course de fond. De celles qui nous apprennent sur nous-mêmes. De celles qui nous rappellent à quel point le fait de prendre un livre dans les mains pour y rester plusieurs minutes est une forme d’acte révolutionnaire dans ce monde toujours plus rapide et stressant.

L’autre course de fond que nous évoque cette époque et cette semaine, c’est cette course de fond magistrale, essentielle, sublime et tellement courageuse que mène la jeune Mila. Harcelée, menacée de mort à 16 ans pour avoir décidé de se moquer d’une religion, Mila a été cette semaine dans le dur de son combat contre les nouveaux fascistes d’aujourd’hui. Ceux du clavier tout puissant. Tel Zatopek, Mila a traversé les épreuves. Elle a résisté d’abord. Puis, face à l’adversité elle a été tenté de faire le dos rond. De se dire que cela était trop dur. Et puis non. Elle n’allait pas abandonner. Elle a continué. Elle est proche de la ligne d’arrivée. De ce moment où le public est là pour l’aider à parcourir les derniers kilomètres. Ceux qui lui permettront définitivement d’apparaître comme l’une des marathoniennes de notre combat collectif pour la liberté d’expression. Dans cette façon qu’elle a de ne pas s’excuser, de ne pas chercher une indulgence factice, d’être droite dans son objectif et dans son combat, Mila nous montre comment courir. Elle nous indique le tempo, nous souligne les pièges et nous invite à courir cette course de fond avec elle.

 Quand on vous disait que la course et l’écriture pouvaient constituer un bon attelage… Clairement, il y a assurément dans la course, l’écriture, le militantisme, la défense de nos libertés de quoi se forger de solides remèdes à la mélancolie comme dirait Eva Bester (qui de source sûre préfère les arts martiaux). A vos stylos, à vos carnets et à vos Mizuno. Nous en sortirons tous meilleurs. Capables de mieux courir avec et aux côtés de celles et ceux qui sont partis un peu seuls.

Bon dimanche,

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