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Sortir de nos cavernes

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C’est l’histoire d’un sage et de son fils. Ils décident un jour un peu forcés de s’extraire du monde pour aller méditer pendant plus de douze ans dans une grotte. Là-bas, ils étudient les textes sacrés, ils sont loin des tumultes du monde et aiguisent leur pensée. Il réfléchissent à l’après, au moment où ils retourneront dans le monde pour y rapporter ce qu’ils ont appris. Ce moment de réflexion, d’interrogation permanente sur le monde qu’il leur faudra construire, et de retour à l’essentiel, leur apparaît comme une cure de jouvence. Comme un moment béni. Problème : quand les deux hommes retournent dans le monde, quand ils confrontent leurs nouvelles vérités acquises avec les autres hommes, ceux qui sont restés dans une vie tumultueuse et normale, ils portent un regard incandescent au premier sens du terme. Un regard brûlant qui ne supporte pas la contradiction, et qui ne fait pas de place à l’autre.

Cette histoire est tirée d’un épisode célèbre du Talmud. Elle n’est évidemment pas sans rappeler le mythe platonicien de la caverne dans lequel les habitants de la caverne – nous les Humains – vivons dans une illusion entretenue par nos fausses idées. Ces prisonniers rencontrent un philosophe qui leur donne les outils pour sortir de la caverne et aller se confronter au monde. C’est alors que leur approche sensible se heurte à leur nouvelle approche intelligible. Ils doivent apprendre à équilibrer les deux et à se demander si ce qu’ils ont appris, même dans l’illusion, dans la caverne ne pourrait pas leur servir pour enrichir et polir encore un peu plus joliment leur approche intelligible du monde.
Certainement, que nous humains du 21è siècle à l’aube de ce 11 mai, nous sommes une sorte de croisement entre les sages du Talmud et les personnages allégoriques de Platon. Contraints de nous retirer dans nos cavernes par un virus venu d’ailleurs, nous avons tous et toutes, consciemment ou inconsciemment, tenté d’étudier différemment le monde que nous habitons. Nous avons, tous et toutes, consciemment ou inconsciemment, oscillé entre une approche sensible (faite peut-être d’illusions) de ce que nous vivions et une approche intelligible en pesant le pour et le contre, en regardant les études épidémiologiques et en tentant de faire des plans pour l’après. Au final, en sortant de ce confinement, ce qu’il faut retenir c’est que nous ne sommes ni moins bons, ni meilleurs. Nous sommes, ici et maintenant, face à un réel qu’il va nous falloir appréhender.

Le monde “d’avec”.

Ce qu’il nous faut aussi retenir, c’est que nos vérités chevillées et construites dans ce confinement devront nécessairement être passées au tamis du regard des autres et du réel. Ce qu’il nous faut aussi retenir, c’est qu’au fond, ce qui importe demain, c’est peut-être justement, non pas de remplacer nos vérités d’hier par celles acquises dans la caverne, mais au contraire de chausser de nouvelles lunettes, plus affûtées de nos expériences de caverne, pour tenter de comprendre le monde et de reconstruire ce que nous avons la volonté de reconstruire. “Ce que l’esprit voit, le cœur le ressent” écrivait justement André Malraux dans “La condition humaine”. Allions le sensible et l’intelligible pour affronter la sortie de la caverne. Ne soyons pas comme les sages du Talmud aveuglés pas la lumière de nos vérités du moment. Ne soyons pas comme les hommes platoniciens en rejet du sensible.

Sachons, peut-être, nous mouvoir dans l’incertain. Dans l’interstice gris du monde. Celui où nous trouverons des réponses pour créer du lumineux qui ne viendra pas écraser l’autre. L’autre, celui qui nous a tant manqué pendant cette période dans nos cavernes. Dans l’un de ses textes philosophiques, Jean-Paul Sartre nous y invitait d’ailleurs : “La condition humaine s’éprouve à chaque instant. A chaque époque, l’homme se choisit en face d’autrui, de l’amour, de la mort et du monde”.

Choisissons nous, les amis. Choisissons-nous et avançons, à tâtons, pour rendre notre sortie collective de la caverne plus lumineuse encore que ce que nous l’imaginions. Le pire n’est jamais certain, n’en déplaise à Michel Houellebecq qui expliquait cette semaine que l’après serait comme l’avant en “un peu plus pire”. Pas étonnant pour un nihiliste. Les humanistes, eux, pensent différemment. Aimons pour espérer.

Bon dimanche, Ernestiens et Ernestiennes des cavernes !

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