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Faut-il encore lire Beigbeder en 2020 ?

Beigbeder Holder Vendredilecture Ernest Mag

Successivement branché, mainstream puis has-been, Frédéric Beigbeder revient avec un nouveau roman empruntant autant à l’Autofiction qu’à la satire politique. Octave Parango, son double fétiche, s’y réveille à l’époque du rire omniprésent et de #MeToo avec une drôle de gueule de bois… Autant de bouleversements qui, contre toute attente, profitent à l’écrivain.

BeigbouquinA l’instar de ma consœur Amélie Nothomb, je crois être atteint d’un mal curieux : je suis un graphomane de la pire espèce. L’affaire remonte à loin... J’ai passé mon enfance à noircir des cahiers Clairefontaine à spirale, grands ou petits carreaux, comme une obsession. Vint ensuite l’adolescence, la découverte du monde et le moment charnière des premiers émois. L’exploration assidue du sexe opposé engendra chez moi bien des troubles. Je fus alors un romantique poitrinaire, un vrai, dévorant les œuvres d’illustres prédécesseurs portés sur les oscillations de l’âme et les phrases de la longueur d’un paragraphe. Chateaubriand, Lamartine, Musset et Baudelaire devinrent des héros. L’amour était alors galant, passionné ou n’était pas. La littérature une affaire de vie ou de mort… Par clémence envers le lecteur, je passe volontairement sur les déflagrations livresques qui suivirent et mériteraient d’autres articles (Vian, Duras, la découverte de Saint-Germain-des-Prés). Au tournant des années 2000, une nouvelle déflagration se produisit : un grand dadet chevelu émergeait de sa nuit perpétuelle pour accéder aux sirènes médiatiques. Soudain, la poussière qui s’amoncelait sur la tranche des romans n’avait plus rien de la saleté. Elle équivalait à la poudre blanche qui remplissait les larges narines du créateur du prix de Flore. Tout s’éclairait pour l’écrivain en devenir que j’étais alors. Sans trop se tromper, on peut aller jusqu’à affirmer que le "99 Francs" de Frédéric Beigbeder avait constitué un avant et après pour toute une génération. Comme si un seul roman, tenant son lecteur en haleine et poussé par des méthodes marketing qui font vendre un livre comme un paquet de lessive, pouvait jouer un rôle moteur dans la redéfinition du rôle de l’écrivain français du début du XXIème siècle. Beigbeder m’avait rendu un sacré service. En construisant son image d’auteur branché, il faisait rejaillir un peu de son attitude cool sur tous les post-ados à la nuque longue éperdus de belles lettres. J’en étais. J’avais donc décidé de devenir le nouveau Frédéric Beigbeder. En singeant ses postures, dans le quotidien sans histoire d’une classe de première littéraire de banlieue parisienne, le chef de file des germanopratins me permettait alors de parfaire mon éducation sexuelle de la plus belle des manières…

Haro sur la dictature du rire

Avance rapide. Janvier 2020. Frédéric le grisonnant publie son nouveau roman, au titre imprononçable puisque simplement F.Beigbeder©JF Pagaconstitué d’un smiley « MDR ». Un sacré coup de com’, un de plus… Comme si tout avait changé sans que rien n’évolue vraiment, Frédéric Buzzbeder a encore frappé ! Cette fois-ci, il nous convie à la dernière danse réjouissante de son double maléfique, Octave Parango. Plus que jamais, celui-ci s’affirme en anti-héros subissant les affres de l’époque en les pourfendant, comme des moulins, dans un affolant quoi qu’attachant dilettantisme. Dans la ligne de mire de Parango : l’omniprésence du rire. Ce dernier, propulsé humoriste de la matinale la plus écoutée de France, mesure à quel point l’injonction au bon mot, à la vanne, à la blague est devenu le graal de l’époque. Lui, l’écrivain léger, le DJ rigolard, le pubard cynique, le model scout désabusé se trouve soudain en situation overdose de LOL. Plutôt cocasse. Un beau jour, ou plutôt par une douce nuit, sous le triple effet du spleen, des substances et de l’émergence des Gilets Jaunes, Parango décide de faire son coup d’éclat. Demain matin, au moment de prendre l’antenne, il se sabordera. France Inter, pardon France Publique, le virera. Fiction et réalité se confondent alors puisque Laurence Bloch s’est bel et bien lassée des chroniques hallucinées de l’écrivain. En ouverture de son nouveau livre, Beigbeder prévient d’ailleurs sous forme d’avertissement : « Toute ressemblance avec des faits réels ou des personnalités existantes pourrait révéler les limites d’un auteur sans imagination. Un jour, il me faudra admettre que j’ai consacré mon existence à faire passer mes problèmes pour des fictions et ma vie pour un roman».