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“Culturellement dépassé”

Ernest Mag Disney

La peur fait-elle perdre la raison ? Question philosophique s’il en est qui dit finalement assez bien le moment de transformation du monde que nous vivons. “La crise c’est quand l’ancien peine à mourir et que le nouveau a du mal à éclore”, rappelait l’immense philosophe italien Antonio Gramsci. Il ajoutait que c’était dans ce clair obscur que les monstres surgissaient. Dans de nombreuses années quand les historiens tenteront de comprendre le surgissement de nos propres monstres actuels, certainement qu’ils s’arrêteront un instant sur le choix que vient de faire la plateforme Disney +. Sur cette plateforme qui diffuse tout le catalogue bien connu de Disney de La Belle et la Bête à Bambi, il  a été décidé de diffuser avant certains dessins animés un message d’avertissement. Il dit la chose suivante : “ce programme est présenté tel qu’il a été créé. Il peut contenir des représentations culturelles dépassées”. Évidemment, on pourrait traiter cet évènement avec ironie et indifférence. Mais de facto cette décision alimente un peu plus encore le changement du paradigme de pensée auquel nous assistons.

Ce que dit l’acte de Disney c’est qu’au fond nous ne serions plus capables d’aucun recul. Qu’il faudrait protéger les enfants, les adolescents, et même les adultes de tout. Et surtout de leur propre esprit critique et de leur propre capacité de recul. En mettant ce genre de message avant les dessins animés, Disney acte deux choses : en premier lieu, le fait qu’il prend les gens pour des imbéciles incapables de contextualiser une œuvre, en second lieu que la polémique sera trop forte.

C’est d’ailleurs parce que des internautes ont – sur les réseaux sociaux – villipendé la vision de la culture asiatique  dans la “Belle et le Clochard” que la firme aux grandes oreilles a pris cette décision…On croit rêver et surtout l’attention portée aux enfants puisque c’est ainsi que Disney présente l’initiative viendra sans aucun doute se porter bientôt à nous, adultes, de peur que nous soyons incapables de réfléchir.

Or, comme chacun sait, la pensée est un mouvement. L’art qu’il soit cinématographique ou littéraire est aussi le reflet d’un moment, d’un temps. Le nier au point de le qualifier de “culturellement dépassé”, c’est aussi finalement oublier tous les mouvements qui se sont battus pour changer les représentations, justement. Plus inquiétant encore, est ce que sous-tend ce genre d’initiative. Elle signifie – finalement – que notre époque détiendrait une vérité révélée moralisante absolue et finie qui viendrait ainsi se substituer à l’ensemble des autres vérités humaines d’hier ou d’avant-hier.
C’est évidemment confortable de penser comme cela. De penser que notre époque est dans le camp du Bien.

La vérité universelle et indépassable est le début du totalitarisme

De juger le passé à l’aune de nos yeux d’aujourd’hui et surtout, surtout de penser que la surprotection des gens est la solution à tous nos problèmes et toutes nos turpitudes. Enfin, le troisième problème posé par cette décision de Disney suite à des polémiques imbéciles sur les réseaux sociaux est celui de la liberté de création et de liberté artistique. Finalement, l’art a -t-il encore une raison d’être ? Faudra – t – il demain poser des avertissements sur les tableaux du Caravage, sur les films de Tarantino, les livres de Bret Easton Ellis ou James Ellroy pour dire que les personnages ne reflètent pas la réalité et sont des “représentations culturellement dépassées” ?

Dans son dernier essai, “White”, Bret Easton Ellis posait finalement assez bien cette équation de la capacité de nos sociétés actuelles à devenir pleurnichardes pour un oui et pour un non et à s’indigner de tout pour rien. Ellis écrit notamment : “Si une culture est tellement préoccupée par une idéologie, et par le fait de dire la bonne chose, ce n’est plus une culture qui se préoccupe des arts. Cela ne permet pas aux artistes de parler librement et ça m’inquiète beaucoup”.
Parler librement, certes, mais surtout penser librement. Ce que nous dit Disney c’est : “vous êtes incapables de penser, voici des certitudes”. Comme si, finalement, le message de l’époque était que la pensée était désormais figée et que tout ce qui ne rentrait pas dans les canons d’aujourd’hui devait être qualifié de “culturellement dépassé”.
On pourrait s’amuser d’ailleurs à faire la liste de toutes les choses “culturellement dépassées” qui ont fait changer le monde par l’émotion, ou même les messages qu’ils ont fait passer. Retient-on vraiment de “la belle et le clochard” la représentation des chats siamois ou au contraire, son ode à la différence ?

Tous les éditos d’Ernest sont là.Les éditos paraissent d’abord dans l’Ernestine, la lettre dominicale inspirante d’Ernest. Pour s’inscrire c’est là. 

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