Ernestienne du fond du lit, Ernestien de retour du footing, et vous tous et toutes. Rarement les mots ont été aussi compliqués à tracer. Rarement, le cœur aura été aussi empli d’émotions mêlées. Entre joie et tristesse. Comme dans les bons romans ceux que de chaque côté de cet écran nous chérissons.
La tristesse de venir vers vous ce dimanche avec une mauvaise nouvelle. Ernest, tel qu’il existe actuellement, va s’arrêter. Afin de dissiper toute inquiétude dès maintenant et vous permettre d’aller au bout de cet édito tranquillement, tous les prélèvements des abonnés ont été suspendus il y a quelques jours déjà.
La tristesse donc. Ces derniers temps, les abonnements ont chuté. Nous ne sommes pas parvenus à en trouver d’autres ou à faire revenir celles et ceux qui sont partis. La vie d’une entreprise. Les erreurs, les tentatives, les choix. Les réussites, les ratés. La tristesse de se dire que ce rendez-vous que nous avions ensemble, le dimanche, pour mettre en parallèle la littérature et les soubresauts de ce monde ne sera plus. Tristesse, parce que durant 2709 jours soit 7 ans, 4 mois et 29 jours, 1989 articles ont été publiés sur Ernest, soit 265 par an. A partir de demain, tout passera en accès libre.
Tristesse, parce durant ces années, l’attention tendait vers ce moment où vous liriez ces quelques mots durant votre farniente dominical. Dès le lundi les semaines étaient rythmées, par la constitution du menu des choses que l’on allait vous proposer pour vous inspirer, pour vous donner toujours plus envie de lire. Puis l’écriture des papiers, la relecture de ceux des collaborateurs et collaboratrices, et aussi la recherche du thème de l’édito en parallèle de la réflexion autour des images pour illustrer les articles. Et puis l’édito qui venait, ne venait pas, qu’il fallait reprendre ou pas. Les coups de fils à un ami pour lui demander si quelque chose ne l’avait pas marqué dans l’actu afin de donner matière à une évocation littéraire ?
Sept ans et demi. C’est à la fois peu et colossal. Durant ces années, ce qui a guidé nos pas était l’idée simple d’imaginer un journal où l’on faisait le pari que la recherche de la beauté à travers la littérature nous permettait de donner du sens à nos vies et de nous ouvrir aux autres. Un lieu, un journal, où la littérature avoisinait la fête, l’amour, la légèreté, l’intelligence, la jouissance et où la liberté d’expression faisait office de règle absolue.
Un magazine indépendant qui a défendu depuis son premier jour une approche légère mais profonde de ce que les livres disent au monde. De la fantaisie dans la rigueur.
Et cette croyance folle que ce petit club impalpable des épicuriens de la beauté, de la littérature et de la joie se réunissait chaque semaine autour des articles proposés par Ernest.
Au fond, alors que cette page se clôt, ce que l’auteur de ces lignes a tenté de tracer avec les autres, ici, c’est une cabane ouverte sur le monde. Une cabane où l’on recherchait la beauté, où l’on savait bien que le rire pouvait être un outil pour survivre et construire, où l’on considérait que toutes les littératures pouvaient avoir une place, où l’on pouvait se révolter, s’indigner, mais surtout s’enthousiasmer. Une cabane collective, ouverte, dans laquelle l’universalisme permettait d’habiter ensemble.
Une cabane dans laquelle nous savions que la culture sous toutes ses formes signifiait que nous partagions tous et toutes une humanité commune. Une cabane de mots. Ceux des auteurs et des autrices aimées. Une cabane où l’on a cru plus que tout que la fiction, les histoires que l’on se raconte sont des leviers puissants pour se mettre en mouvement. Une cabane où l’on a modestement, semaine après semaine, tenté de « déchiantiser le discours » autour des livres et de la littérature.
A l’heure de fermer cette page c’est finalement cette joie qui reste et non plus seulement la tristesse de partir. La joie d’avoir tenté, la joie d’avoir réussi quelques trucs, la joie, enfin, et surtout de vous avoir donné toujours plus envie de lire, de vous avoir émus, réjouis, agacés aussi parfois. Ensemble, nous avons vécu.
Ernest (sous cette forme) s’arrête, mais son esprit demeure. Chez nos collaborateurs et collaboratrices qui travaillent ailleurs mais portent l’esprit, et chez nos lecteurs et nos lectrices qui se sont régalés dans nos colonnes. Et qui sait, peut-être ailleurs, différemment, un de ces quatre, Ernest reviendra. Ernest est mort, vive Ernest en quelques sortes. Nous nous sommes bien amusés. Au revoir et merci.
Bon dimanche,