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Ernest en extase à la campagne

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A partir du 2 juillet, l’immense Ernest Pignon-Ernest exposera ses “Extases” à Bernay en Normandie. L’occasion pour Pierre-Louis Basse qui vit à Bernay de nous dire sa passion pour le maître Ernest et de nous parler, aussi, de l’époque.

Ernest Pignon- Ernest a plus d’un tour dans son sac : tant mieux pour les yeux de Naples, Saint-Denis ou Avignon, lesquels n’oublieront jamais ce face à face poétique avec les Extases. Tant mieux pour cette campagne Normande dont l’une des plus belles Abbatiales – Notre-Dame de Bernay, s’apprête à recevoir ces femmes si scandaleuses, si libres, si fragiles, qu’elles finirent saintes pour la plupart d’entre elles. Il faudra bien que cette jolie campagne Normande mesure le cadeau de la terre, des murs et du ciel, que ce petit homme grand d’Ernest a souhaité leur offrir.

Ernest Pignon-Ernest n’est pas seulement l’inventeur de l’art urbain en France. Ernest est parvenu au fil du temps a sauvé Ernest Pignon Ernestnotre mémoire, par la seule grâce de ses images. Les fossoyeurs du monde sont très forts pour créer de l’invisible et de l’oubli. Combat difficile à mener. Souvent à l’aube, parfois dans la nuit de ces villes qui ne dorment que d’un œil, Ernest n’eût besoin que d’une échelle, de quelques pierres noires et d’un peu de colle, pour nous rappeler que Rimbaud était encore parmi nous sur les chemins qui mènent à Charleville. Que les morts de la Commune n’étaient pas morts pour rien, et qu’ils pouvaient s’étendre sur les marches de l’infâme Sacré Coeur. Que le poète Palestinien Mahmoud Darwich pouvait dire l’amour et l’exil sur les murs de Ramallah, loin des fous de Dieu qui n’y comprennent rien. Que Mandela n’eût pas tort, quand il demanda, dès sa sortie de prison à rencontrer celui qui plaçait, dès la fin des années 70, des familles victimes de l’apartheid, face à l’arrogance de ces politiques qui acceptaient le pire. A Bernay, dans la fraîcheur millénaire de l’Abbatiale Notre-Dame, c’est un autre défi artistique qui nous enveloppe. Mais c’est toujours la même quête fabuleuse. De Thérèse d’Avila à Hildegarde De Bigen, de Marie de l’incarnation, à Angèle de Foligno, c’est un “soupir d’étoiles” que le dessin d’Ernest recueille au creux de son lasso.

Le fusain de la liberté

Qui d’autre qu’un Dürer, ou Goya, fut en mesure de nous offrir ces courbes insensées, ces mains, ces paumes, qui nous disent dans la lumière, toute cette souffrance d’aimer. Toutes ces extases que seul l’imaginaire d’un poète est capable de traduire. Ernest, le fou de mémoire et de mots. Le fou d’amour. Et quand les huit femmes s’élèvent juste au-dessus d’un bassin faisant miroir, c’est beaucoup plus qu’une scène artistique qui se joue là, devant nos yeux effarés. Oui, peut-être une renaissance de beauté pour le plus grand nombre. Alors, toute cette beauté qui hésite entre imaginaire et réel, profondeur des abîmes ou élan vers le ciel, nous rappelle brutalement qu’il y a 35 000 ans, déjà, hommes et femmes nous disaient l’invisible souffrance. Le bonheur de vivre ou de mourir. « Je n’ai rien inventé » lance alors Ernest Pignon-Ernest à son retour de la grotte Chauvet. Oui, Bernay et ses environs seraient bien inspirés de mesurer le cadeau de ce petit homme grand. Au moment même où le pire de la politique, la haine de la culture croient pouvoir s’installer dans les campagnes normandes, comme c’est bon d’accueillir le meilleur des combattants : celui qui sauve nos mémoires et notre liberté, dans l’ombre d’un fusain.

Toutes les chroniques de Pierre-Louis Basse sont là.

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