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Ne pas s’habituer

Manan Chhabra OUkGY8G7d5k Unsplash

“L’inhumain n’est pas seulement dans les guerres, il est aussi et d’abord dans le quotidien”. 8h du matin, France Inter, vendredi. Il est question d’Albert Camus. De son livre la Peste. De ses personnages aussi. Mais il est aussi question de l’époque et du livre passionnant de la philosophe Marylin Maeso “La petite fabrique de l’inhumain” qui paraît cette semaine aux Éditions de l’Observatoire. Partant du célèbre texte de Camus, Maeso dresse un parallèle avec nos renoncements qui préparent le lit de l’avènement d’une nouvelle peste.

Dans le livre Maeso s’attarde notamment sur les mécanismes de renoncements intellectuels qui ont conduit à l’attentat contre Charlie Hebdo, qui ont conduit au harcèlement de Mila sans qu’une vague de protestations ne se lève réellement et qui ont conduit, surtout, à l’assassinat de Samuel Paty, il y a un an. Alors que l’on rendra justement hommage à Samuel Paty dans toutes les écoles de France vendredi prochain, le message délivré par la philosophe est crucial. “Nous avons laissé prospéré un ensemble de discours qui a conduit au pire”, peut-on entendre ce vendredi matin sur la radio publique. Difficile de lui donner tort. Difficile aussi de lui donner tort dans cette analogie avec la peste de Camus. Dans cette idée que les choses recommencent, et que nous nous y habituons. Sans le nommer.

Mal nommer ou ne pas nommer les choses c’est ajouter du malheur au monde disait le philosophe. Évidemment. Ce qui est intéressant aussi dans les propos de Maeso et dans la période que nous vivons c’est la question de l’habitude. Pourquoi s’habitue-t-on au pire ? A la bêtise crasse ? Aux inexactitudes ? Comme dans une forme d’exorcisation, ce matin, nous avions envie de ne pas s’habituer, justement. Essayez avec nous. Non, nous ne nous habituons pas à cette idée selon laquelle notre pays serait traversé seulement par la peur, la haine de l’autre et la haine recuite d’un télévangéliste frustré. Non, nous ne nous habituons pas à se souvenir de la mort d’un professeur des écoles tué parce que républicain. Non, nous ne nous habituons pas à ces discours d’abdication qui viennent quasiment justifier des crimes ignobles.  Non, nous ne nous habituons pas à ce que la croyance devienne l’équivalent de la connaissance.

Non, nous ne nous habituons pas ni aux petits ni aux grands renoncements. Un ancien président de la République disait souvent que “l’habitude était un confort mortel” tandis que Marcel Proust, écrivain de l’habitude, soulignait lui que “la constance d’une habitude est d’ordinaire en rapport avec son absurdité”.

 Inspirons-nous de cela quand il s’agira de ne pas réagir à des propos nauséabonds. Inspirons-nous de cela quand il s’agira de ne pas sortir de son petit confort pour tenter quelque chose de personnel ou de collectif. Inspirons-nous de cela quand nous nous sentirons tels Sisyphe impuissants et seuls face à la muraille de la bêtise contente d’elle-même et galvanisée par un milieu médiatico-politique plus que complaisant. 

Inspirons-nous de cela enfin, vendredi, au moment d’expliquer à nos enfants le pourquoi du comment de l’hommage à Samuel Paty. Samuel Paty est un héros des temps modernes. Un homme qui croyait à la capacité de tous et de chacun à grandir et à s’élever en apprenant, en comprenant, et en sortant de son petit confort intellectuel en étant bousculé, justement, par des caricatures.

Inspirons-nous de tout cela pour ne pas s’habituer. Inspirons-nous de tout cela pour construire un monde plus fraternel. Inspirons-nous de tout cela pour simplement rester humains. Humains dans nos rituels pensés et voulus par nous, pas dans nos habitudes qui s’imposent à nous volontairement ou involontairement. Inspirons-nous de cela pour rester humains et déconstruire l’inhumain. Toujours. Partout. Tout le temps. En nous et ailleurs.

Bon dimanche,

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