2 min

Petit pays

Petitpays

S’il fallait une preuve supplémentaire que la littérature est un moyen de nous éclairer sur le monde et de nous dire le monde avec ses failles, ses doutes, ses zones d’ombres et ses forces, l’actualité de la semaine vient de nous la donner.
C’est l’histoire d’un petit pays perdu au milieu de l’Afrique. Un petit pays que les grandes puissances se sont disputé avant de lâchement l’abandonner. Un petit pays que des dirigeants inconscients et ivres de leur pouvoir ont tenu à racialiser (n’oublions pas ce que cette logique apporte…) jusque sur les cartes d’identité : Hutus d’un côté, Tutsis de l’autre. Un petit pays qui a connu le dernier génocide du XXe siècle qui a fait un million de morts.
Tout cela, avant les journaux, avant les politiques, nous l’avons appris, nous l’avons pleuré, nous en avons pris l’ampleur et nous en avons su les conséquences grâce au langage. Grâce aux mots des victimes. Grâce à celles et ceux qui s’en sont faits – dans des livres – les passeurs. Nous en avons aussi tout connu grâce à la littérature. Aux livres qui ont été écrit par ceux qui avaient vécu le drame dans leur chair ou dans leur métier et qui ont décidé pour en faire une expérience universelle des travers profonds de l’âme humaine d’en faire des livres. De fiction. Peut-être parce que c’est seulement dans ce cadre que l’on peut – un peu – mieux appréhender l’innommable.

Dans le cas du génocide rwandais, les livres ont permis d’abord de ne pas oublier, de guérir un peu les plaies, et aussi d’appeler à la justice. L’un des pionniers de cela fut Jean Hatzfeld, journaliste à Libération, qui couvrit pour le journal tous les événements. Ne s’en étant jamais vraiment remis, il a écrit. Des récits d’abord, comme “Dans le nu de la vie”. Des romans, ensuite, comme dans “Où en est la nuit”. Dans ce livre où la fiction et le récit s’entremêlent Hatzfeld semble nous dire que c’est bien par le roman que l’on alimente notre recherche de signification. Après Hatzfeld et outre les enquêtes journalistiques puissantes de Patrick de Saint-Exupéry ou Maria Malagardis, ce fut le roman de Gaël Faye “Petit Pays” qui nous permit de mieux encore ressentir dans nos tripes l’ampleur de ce que nous n’avions pas vu ou pas voulu voir.

“Le Rwanda était devenu un immense terrain de chasse dans lequel le Tutsi était le gibier. Un humain coupable d’être né, coupable d’être. Une vermine aux yeux des tueurs, un cancrelat qu’il fallait écraser”, narre Gaël Faye. Et d’ajouter : “Bien sûr, un livre peut te changer ! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis”.  On y vit les souffles coupés, les rêves avortés, les vies bouleversées, l’infinie douceur de l’enfance malgré la guerre, les battements de cœur, et les odeurs perdues … Du particulier vers l’universel. De l’individu vers l’humanité.

Les livres sont des génies endormis. Nous y sommes. Grâce à tout ces génies endormis, grâce à l’action d’associations, cette semaine l’historien Vincent Duclert vient de remettre au président de la République un rapport qui ausculte les responsabilités de la France dans le génocide Tutsi. “C’est une responsabilité accablante”, peut-on lire dans le document. Comme si la réalité, le travail historique venaient confirmer ce que nous avions lu auparavant dans les enquêtes journalistiques, mais aussi et surtout dans les œuvres de fiction. On pourrait évidemment se dire que tout cela arrive bien tard. Ou à l’inverse, d’autres viendront expliquer qu’il ne s’agit pas de ternir l’image de la France. Il faut se réjouir de ce nouveau pas vers la documentation de ce que fut ce drame. Cela fait partie de notre histoire. D’ailleurs, Patrick Boucheron y consacre des pages dans son histoire mondiale de la France. Parce que cela raconte aussi une époque. Et cela nous dit, aussi, en miroir ce que nous sommes aujourd’hui.
 “Je vis depuis des années dans un pays en paix, où chaque ville possède tant de bibliothèques que plus personne ne les remarque”, détaille Faye dans son roman. Un pays où les livres, le langage, et les mots nous aident à vivre, à survivre et à comprendre. Le nôtre.

Bon dimanche,

L’édito paraît le dimanche dans l’Ernestine, notre lettre inspirante (inscrivez-vous c’est gratuit) et le lundi sur le site (abonnez-vous pour soutenir notre démarche)

Tous nos éditos sont là.

Laisser un commentaire