2 min

Délicieuse irrévérence

HomeCanard Ernest

Après Mauriac la semaine passée, Frédéric Potier nous emmène cette semaine dans la satire. Celle qui vise juste. Celle du Canard Enchaîné et de ses savoureuses prises de becs. Délicieusement irrévérencieux.

Chères ernestiennes, chers ernestiens,

Depuis que j’ai l’âge de lire la presse, je me délecte des portraits. Mon TOC à moi c’est de commencer les journaux par la fin. Pourquoi ? Une vieille habitude prise à l’adolescence quand je piquais le Libé familial pour y dévorer d’abord le portrait. Car c’est tout un art le portrait : trop piquant, il énerve ; trop complaisant, il endort ; trop flatteur, il compromet.
C’est comme la pâtisserie, tout est affaire d’équilibre, de cuisson et de précision. Arriver à faire ressortir un semblant de vérité d’une personnalité publique en moins d’une page n’est pas donné à tout le monde. Le portrait est à la littérature ce que la biographie est à l’Histoire, une spécialité réservée aux meilleures plumes et aux observateurs les plus aguerris.

Prisesdebecs

Autant l’avouer, je trouve aujourd’hui les portraits de Libé un peu trop convenus et manichéens depuis quelques années. Heureusement que Luc Le Vaillant ne cède pas aux humeurs de temps et prend à rebrousse-poil sa rédaction pour réhabiliter aux yeux des lecteurs bobo-gaucho-ecolo-socialo un David Halliday ou un Manuel Valls…

En revanche, la colonne en haut à droite de l’avant-dernière page du Canard enchaîné (soyons précis) qu’occupe chaque mercredi  Anne-Sophie Mercier est un morceau de plaisir hebdomadaire d’une rare constance. Ses portraits d’une férocité jubilatoire touchent d’autant plus juste qu’ils cumulent informations, psychologie et impertinence. Ils dégonflent l’ego souvent hypertrophiée des personnages publics appelés à plus de modestie.
« Prises de bec », publiée par Calmann Lévy fin 2020, rassemble en un gros pavé une centaine de ces portraits, de Martine Aubry à Marc Zuckerberg, accompagné des dessins de KIRO, dont le tracé fait furieusement penser aux caricatures croquignolesques de Daumier.

Le meilleur de la satire

Le Canard Enchaîné, dont on ne souligne jamais assez à quel point cet hebdomadaire est essentiel  à l’équilibre des pouvoirs du système politique français, rate rarement ses cibles. Il en va de même pour les portraits et il suffit de parcourir quelques titres pour s’en convaincre : « Jean-Louis Bianco, le hic laïc », « Christine Boutin, l’amère supérieure », « Christophe Castaner, le cacou d’État permanent », « Dupont-Aignan, l’enflant de la patrie », « Estrosi, Chris de Nice », « Jadot, le melon vert », « Taubira, la mégarde des Sceaux », « Schiappa, la mousse et le buzz », « Wauquiez, parka d’école », « Guillaume Larrivé, toujours partant »…Macron Prisesbecs
A la lecture de ce canardage en règle, version carpet bombing par des B-52 américains, on se dit qu’Anne-Marie Mercier doit assez peu compter d’amis dans le petit milieu politico-médiatique parisien et qu’elle n’est pas prête à succéder à Olivier Duhamel à la présidence du Siècle, et c’est tant mieux ! Pas de convenance, pas de complaisance. Au fond, ce recueil nous offre le meilleur de la satire et une immense bouffée de liberté.

Un point cependant : on consultera avec malice le portrait consacré à un certain Emmanuel Macron publié en avril 2016, alors que l’intéressé n’est « que » ministre de l’économie. Anne-Sophie Mercier compare l’impétrant au centriste Jean Lecanuet dont le plus haut fait d’armes fut de réaliser 15% des suffrages à l’élection présidentielle de 1965 poussant le général De Gaulle à subir l’affront d’un second tour… Lecanuet ne fut, malgré ses belles dents blanches, jamais Président de la République mais un modeste et respecté Maire de Rouen. Comme quoi la meilleure des plumes ne remplace pas une boule de cristal…

Tous les essais transformés de Frédéric Potier

Laisser un commentaire