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Et si on sortait du Houellebecquistan ?

Ernest Houellebecquistan

Sérotonine, le nouveau roman de Michel Houellebecq vient de paraître. Dans ce nouvel opus, Houellebecq accentue un peu plus encore son nihilisme anarchiste. A la lecture, une question surgit : et si la "Houellebecquisation" du monde était une remise en cause profonde de la philosophie des Lumières ? Enquête littéraire au Houellebecquistan.

ernest-SerotonineSérotonine, le nouveau roman de Michel Houellebecq est donc sorti la semaine dernière. Auparavant, des critiques bien disciplinés qui avaient reçu le livre avaient tressé des lauriers au roman et surtout respecté le sacro-saint embargo du 27 décembre décidé par l’éditeur. Le plan média du scandaleux des lettres hexagonales a ainsi été fort bien orchestré.
Évidemment, la sortie d’un roman de Michel Houellebecq est un évènement. Évidemment que Michel Houellebecq est un écrivain majeur qui a su décrire avec justesse certaines évolutions du monde occidental. Évidemment que Les particules élémentaires et La carte et le territoire sont deux romans magnifiques. Mais, à la lecture de Sérotonine, une question étreint le lecteur.  Et si, au fond, l’importance que Houellebecq a pris dans notre débat public et dans notre monde d’aujourd’hui n’était pas la preuve la plus éclatante de la victoire dans la grande bataille culturelle chère à Antonio Gramsci de ce que nous pourrions appeler l’anarchisme nihiliste ? C’est-à-dire peu ou prou cette idée selon laquelle tout se vaut et que sous couvert d’humour caustique, il est possible de réhabiliter le temps d’une page ou deux le général Franco ou de faire preuve de la misogynie la plus crasse. Cet anarchisme nihiliste c'est aussi écrire que le monde occidental court à sa perte et qu’il est menacé de toute part : par l’intelligence artificielle et le clonage, mais aussi évidemment par l’Islam radical (ce qui pour le coup est une réalité) mais aussi par la misère sexuelle et la perte des repères religieux. Au fond, dans cette bataille culturelle entre l’idéal humaniste de progrès ou du moins d’amélioration et la philosophie nihiliste et anarchiste de droite, les romans de Michel Houellebecq ont plus de poids que n’importe lequel des essais politiques ou des discours de Marine Le Pen. Ainsi que Gramsci l’avait théorisé, la bataille culturelle se gagne grâce à des livres, des films, des œuvres d’art, et tout un tas de prises de paroles autres que politiques au sens partidaire du terme.

Le monde nihiliste de Houellebecq

Nous y voilà donc. Et si nous assistions à une Houellebecquisation du monde ? Et si, finalement ce que défend souvent avec talent Houellebecq dans ses romans était devenu la vulgate majoritaire ? Vulgate majoritaire en ce sens que tous les constats que faits Houellebecq qu’ils soient vrais, faux, visionnaires ou non, sont tous présentés comme inéluctables et indiscutables. Ainsi, dans Sérotonine, Houellebecq s’amuse en mettant en scène Florent-Claude qui est le parfait anarchiste réactionnaire. Ainsi, les homosexuels sont des « pédés », il aime « rouler en 4x4 » et il emmerde le monde. Il déverse sa haine pour les technocrates, mais aussi pour toute idée qui viendrait mettre en avant l’homme. Que dire de la façon dont les femmes y sont présentées en fonction de la façon dont elles pratiquent la fellation ? Clairement, Sérotonine est ainsi un concentré de la pensée houellebecquienne dans tous ses plus grands clichés.  Cela alors même que l’auteur sait être d’une immense finesse. Étonnante posture. Interpellante, même. Ce pays de désertion agricole, de désolation morale et d'insurrection, ce Houellebecquistan est-il vraiment similaire à la France actuelle ? Le lecteur a le droit d'en douter et de ne pas forcément s'extasier sur le côté visionnaire de l'auteur. Mais passons.

Plus puissante encore est la façon dont le nihilisme dont il est le théoricien semble être devenu la règle. Chacun pour soi et dieu pour tous. Dans une forme de danse macabre où l’on saurait que de toute façon tout est foutu et qu’il ne servirait à rien de contester cet état de fait. Cette façon nihiliste d’envisager le monde est l’une des forces de Houellebecq. C’est ce qui fait en partie le sel de sa littérature. Tant qu’elle reste de la littérature. Or, le phénomène Houellebecq a dépassé l’écrivain Houellebecq et aujourd’hui, ses propos littéraires contenus dans ses romans sont devenus une forme d’avis. Comme si le no future avait terrassé tous les idéaux. D’ailleurs, dans Soumission, son précédent livre il était justement question de la perte d’idéal commun et collectif supérieur qui conduirait au renoncement, et plus grave encore, à la soumission généralisée à l’islam. Ce qui est triste dans cela n’est pas le constat de Houellebecq qui pour partie est réel, mais bel et bien le fait que la société toute entière se mette au diapason des personnages houellebecquiens profondément inactifs et nihilistes, ne pensant qu’à eux-mêmes.