Chanteurs et écrivains, même combat ? Peuvent-ils bien chanter et écrire bien ? Peut-être... Le chanteur Raphaël Haroche a reçu cette année le prix Goncourt de la nouvelle pour "Retourner à la mer" et Cali a publié cette année "Seuls les enfants savent aimer", un roman autobiographique évoquant une enfance bouleversante. La tradition du chanteur accompli qui s'aventure vers la littérature se manifeste toujours. L'occasion de poser une question fondamentale : les chanteurs savent-ils écrire ?
"Quand j’ai reçu le prix Nobel de littérature, je me suis demandé quel était précisément le lien entre mes chansons et la littérature", Bob Dylan avait lui-même exprimé son trouble face à une telle consécration pour son œuvre musicale profondément poétique. Sara Danius, la secrétaire de l'Académie l'avait alors rassuré : "il écrit une poésie pour l’oreille". Bon. Reste que celui qui chante "Like a Rolling Stone" n'est pas convaincu : "nos chansons sont faites pour être chantées pas pour être lues." Ernest ne tranchera pas le débat de manière définitive. Toujours est-il que la position de la chanson dans le domaine littéraire a toujours été ambigüe ; le chanteur perçu comme un poète est une assimilation qui remonte aux troubadours et trouvères du Moyen Âge, où l'écriture n'avait pour finalité que celle d'être chantée.
Aujourd'hui encore, c'est un lien étroit qui absorbe les paroliers entre littérature et chanson. Ils disposent des mots. Qu'ils les chantent, brûlent ou pensent, ce sont des mots. "Je suis un type qui écrit. Peu importe ce qu'il écrit. Il y a un mouvement dans l'écriture", confie à Ernest Jérôme Attal, auteur, parolier, chansonnier (voir interview ci-dessous). Façon de dire que le support des mots importe finalement assez peu. Reste à savoir ce qu'il en est lorsqu'un chanteur vient à vouloir faire de la littérature à proprement parler. Écrire un livre, sans guitare ni mélodie.
Cette année, les librairies françaises ont accueilli les livres de Raphaël Haroche et Cali, deux chanteurs à la popularité confirmée depuis plusieurs albums. Le premier pour un recueil de nouvelles, Retourner à la mer, publié dans la célèbre collection blanche de Gallimard. Simple et percutant, parfois doucement cynique et profondément optimiste. Pour le second, c'est un roman autobiographique retraçant une partie douloureuse et matricielle de l'enfance du chanteur Bruno, où l'innocence s'efface dans l'impudence de son monde suite au décès de sa mère. Mathias Malzieu de Dyonisos avait aussi franchi le pas avec succès il y a quelques années. Comme si, cette mue était un passage normal et que l'écriture d'un livre était le prolongement de l'écriture musicale. D'ailleurs, en 2015, la langue de Cali avait fourché lors d'une émission de télévision française : "c'est un livre où ... un livre ... un disque ! ". Eux-mêmes s'y perdent. Les chanteurs, après la parution de plusieurs titres à succès, un salut de la critique et un soutien du public, peuvent alors s'aventurer vers l'art dit majeur de la littérature. Ils connaissent plus de monde, détiennent une certaine sérénité d'écriture. Avec la volonté de se diversifier ? Celle d'être un artiste complet ? Par sagesse ou lassitude ? Peu importe, ils écrivent un livre.
Publier des chanteurs, une logique commerciale ?
Cali définit ce qu'il appelle le jeu d'écriture, tant pour la chanson que pour le roman avec la seule différence de la longueur de cette mise à nu. Le compositeur de "Elle m'a dit" et de "C'est quand le bonheur ?" n'est pourtant pas l'initiateur de ce projet. C'est à la suite d'une rencontre avec les éditions du Cherche-Midi – qui appréciaient ses chansons – qu'on lui a proposé d'écrire un roman. Une affaire dont Cali se sentait incapable et s'y est finalement attelé durant les soirs de sa tournée. "Les maisons d'édition misent aussi beaucoup sur les chanteurs parce qu'elles se disent que comme ils sont déjà connus, elles vendront des livres sur le seul nom de l'artiste. Elles ne sont pas toujours dans une logique éditoriale, mais plutôt dans une logique commerciale" livre, ironique, un fin connaisseur du secteur. Et à regarder les chiffres de ventes fournis par Edistat, difficile de lui donner tort. Le livre de Cali s'est classé dès sa première semaine de sortie dans le top 50 hors fiction des ventes et a même été dans les vingt premiers pendant plusieurs semaines.
Quant à Raphaël Haroche, son désir d’écrire lui est apparu dans l'ennui des vacances et par amour des lettres. Mais ce n'était pas son premier coup d'essai : bien que publié chez Gallimard, par Aurélien Masson un ami d'enfance, "Retourner à la mer" est le résultat de plusieurs tentatives auprès de la prestigieuse maison. Il a déclaré dans une interview : "la littérature ça me plait et je veux continuer ", se présentant comme un nouveau littérateur qui ne fait "qu’entrebâiller la porte".
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