Légiférer sur les fake-news durant les campagnes électorales ? C’est la dernière trouvaille du président de la République, Emmanuel Macron, lors de ses vœux à la presse. De quoi inspirer Pierre-Louis Basse qui voit -notamment- dans cet épisode un “moment gag” d’une grande drôlerie !
C’est peut-être le “moment gag” aurait noté en bas de page de ses carnets, Guy Debord, décrivant le long chemin de l’information devenue spectacle à tous les étages. L’année commence sur les chapeaux de roue. Quel plaisir en effet, d’observer que le premier Président de la République Française, élu dans un délire de couvertures plus people les unes que les autres, s’agite brusquement, en affirmant vouloir « encadrer » les fake-news !
Au fond, qui croire dans ce dernier débat de l’inutile, orchestré pendant les fêtes ?
Qui croire en effet, lorsqu’on observe qu’une demi-douzaine de financier de haut vol, tient désormais l’essentiel de l’information dans notre pays. Nul mieux que Max Planck, aura résumé la situation : « Le mensonge ne triomphe jamais entièrement par lui-même. Mais ses adversaires, finiront bien par mourir ». Certes, soutenons de tout notre pauvre cœur abîmé, les derniers résistants, soucieux de batailler encore contre ce Biafra de l’esprit qui vient. Même si le combat est déséquilibré. Soutenons ce combat. Dernière épée de l’utopie, face aux marchands d’un consumérisme atroce, capable de séduire jusqu’à nos propres enfants. Et passons sur une servilité qui se paie cash – aujourd’hui encore-, pour tous ceux et celles, récompensés de ne jamais prendre le moindre risque éditorial. Voir et revoir le beau film « Les nouveaux chiens de garde ». Il faut croquer n’est-ce pas, mais savoir aussi passer à la caisse…
Vous avez dit Fake-news ?
Parfois même, on se pince.
Avez-vous remarqué que l’enquête absolument vertigineuse de nos confrères de Mediapart, consacrée au financement supposé de la campagne de Sarkozy par les services secrets de Khadafi ne reçoit que très peu d’écho ? « Fake-news » s’agite comme dans un bocal, l’ancien Président de la République. Et porte plainte. Mais deux fois débouté.
Un clown et son écharpe rouge ont balisé à merveille, le chant inépuisable du possible sur un plateau. L’éditorialiste Christophe Barbier faisant le poirier, en direct à la télévision. Manière subtile de nous dire – qu’importe que le poirier fut inachevé, et drolatique-, que oui, nous en sommes là ; entre narcissisme quasi névrotique, et mépris assumé du téléspectateur.
Un soir que je saluais avec étonnement la présence d’un haut responsable du groupe dont j’étais l’employé radiophonique, celui-ci m’interpella avec sévérité : “Cher Pierre- Louis, pas trop de contenu je vous prie. Du rire et de la décontraction…”
Et puisqu’il est aujourd’hui impossible d’évoquer la liberté d’informer, sans son corollaire, le commerce qui a posé sa patte, je ne résiste pas à la lecture du philosophe Jean Claude Michéa : « L’échange marchand n’organise pas simplement la circulation économique des choses. Il définit simultanément une nouvelle métaphysique des rapports humains. »
C’est ainsi qu’un simple opérateur téléphonique est parvenu en quelques années, à se glisser comme une couleuvre, dans les coulisses du sport devenu spectacle et rien d’autre. Mois après mois, que les journalistes deviennent des éléments hors champs, quand seuls, les anciens joueurs, ou vedettes du moment, occupent l’espace. Le grand marché veille. C’est ainsi qu’il faut payer d’un clic. Nous avons perdu depuis belle lurette, la gratuité d’un geste de sport. Personne ne moufte.
Le citoyen est devenu un simple consommateur de bavardages
Qu’y faire ? Cette histoire de « cadrage du fake-news » me paraît trouble. Ne faudrait-il pas bien davantage, fracasser les ignorances parfaitement ordonnées ? Qu’une responsable politique d’un mouvement plus que respectable, choisisse d’aller aboyer une ou deux fois par semaine, sur un plateau qui mêle le stuc et la palabre – plutôt que poursuivre son combat-, en dit long en effet sur l’état des terriens. Les poulets de basse cour règnent, et dressent devant la masse les « nouveaux bûchers de l’inquisition » (Pasolini)
Après l’incendie du Reichtag – 27 février 1933-, sommet de fake-news mis au point par les gangsters de Goering, légitimant ainsi l’amplification du crime antisémite, l’histoire pensait naïvement avoir tout vu. L’invention totale des armes de destruction massive sur le sol Irakien, merveille de fake-news, jamais sanctionné. Blair et Bush continuent de battre l’estrade. Le fake-news a fait son boulot dans la destruction d’une région menacée d’embrasement. Prendre ainsi conscience – une bonne fois pour toutes-, que l’entertainment imposée dans les rédactions, a transformé le citoyen, en simple consommateur de bavardages.
A peine trente ans pour passer du salon de coiffure de nos grand-mères, aux plateaux les plus débiles. Pierre Bourdieu : « A travers l’accroissement du poids symbolique de la télévision, et, parmi les télévisions concurrentes, de celles qui sacrifient avec le plus de cynisme et de succès, à la recherche du sensationnel, du spectaculaire, de l’extraordinaire, c’est une certaine vision de l’information, jusque là reléguée dans les journaux dits à sensation, voués aux sports et aux faits divers, qui tend à s’imposer à l’ensemble du champ journalistique. »
Le spectacle est mangeur d’hommes
Le spectacle est mangeur d’hommes. C’est une faim de loup. Une profondeur abyssale. Comme si le fake-news n’était en définitive, que l’appendice d’une information suicidée, à force de se ressembler. « l’Art de réduire les têtes ». Manière de déplacer encore le curseur du spectaculaire. Et du même coup, d’effacer toute réalité. Toute mesure. Ce risque de massification et d’atomisation intellectuelle, qui vient de loin. La philosophe Hannah Arendt prévenait de quelques mots, désignant la condition de l’homme moderne : « Pensons ce que nous faisons ». Certes. Mais il faut du temps pour cela.
Alberto Moravia nous offrit il y a bien longtemps, ce merveilleux raccourci de “L’ange de l’Information”. Deux amants se déchirent et luttent pour définir une forme de vérité dans leur couple. Matéo est un grand journaliste, il ne peut s’empêcher de raisonner avec éclat : « Il y a deux façon de cacher la vérité. La façon traditionnelle, si tu veux : ne donner aucune information. Et l’autre : en donner trop, avec tous les mass media dont on dispose. Ca, c’est la façon vraiment moderne. » On dirait bien que Moravia avait le sens du fake-news.
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