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Schwarz : “Les peuples ne sont pas les victimes innocentes des dictatures”

Schwarz

Alors que le Bundestag, le parlement allemand, a fait sa rentrée mi-octobre avec 92 députés du parti d’extrême droite AfD, ouvertement xénophobe et hostile au travail de mémoire entrepris par le pays après la fin du nazisme, il nous a semblé intéressant de discuter avec Géraldine Schwarz, auteure d'un livre superbe, à la fois familial, mais aussi historique. Sur l'Allemagne et son travail de mémoire. Alain Louyot, notre grand reporter, est allé à sa rencontre.

9782081416994 LesAmnesiques CouvBandeau HDLes secrets de famille sont souvent le point de départ d'une transformation. Pour Géraldine Schwarz, ce fut lorsqu'elle découvre que son grand-père Karl Schwarz a acheté en 1938 une entreprise à un juif, Sigmund Löbmann, qui périt ensuite avec les siens à Auschwitz. Après la guerre, confronté à un héritier qui lui demande de l’argent, Karl Schwarz tente de se dérober à ses responsabilités passées.

Cette découverte est le point de départ pour l’auteure - journaliste franco-allemande - d’une enquête passionnante sur les traces du travail de mémoire accompli en Allemagne sur trois générations. Une alliance subtile de la petite et de la grande histoire. Avec des affirmations inédites sur le travail de mémoire allemand, et plus généralement européen.

« Les Amnésiques », pourquoi ce titre ? On pensait les Allemands hantés par leur passé …

Géraldine Schwarz : En fait beaucoup de pays européens se sont reposés sur cette culpabilité de l’Allemagne pour ne pas faire leur propre travail de mémoire. Ayant été élevée par une mère française et un père allemand, j’ai été imprégnée durant ma jeunesse par ce travail de mémoire effectué côté allemand au point que je ne me rendais pas compte à quel point celui-ci n’avait pas été fait ailleurs. Les Amnésiques, c’est d’abord la génération de mes grands-parents au lendemain de la seconde guerre mondiale car l’Allemagne a tout de même mis une cinquantaine d’années pour prendre toute la mesure de sa culpabilité ! Dans ce livre, j’ai voulu montrer la façon dont on peut mener ce travail de mémoire après l’Holocauste comme après n’importe quelle dictature.

As-tu hésité avant d’écrire ce livre en pensant à la réaction que pourrait avoir ta famille ?

Pas du tout car une génération est passée. Cela m’aurait sans doute dérangé si j’avais écrit sur mon père et non sur mon grand-père. Et puis si mes grands-parents avaient été encore vivants j’aurais certainement eu plus de mal à écrire, à révéler leur amnésie ou leur passivité pendant le troisième Reich. Je ne suis cependant pas très sévère à l’égard de mon grand-père car, alors que la quasi-totalité du peuple allemand était enthousiasmé par le nazisme, on ne pouvait pas attendre de lui qu’il se comporte en super héros ! Mon père en revanche, lui, a refusé l’amnésie et s’est beaucoup documenté sur la période et les crimes du nazisme. Lui était très lucide et il a eu le courage de s’opposer à son père car il était choqué du manque d’empathie de mon grand-père à l’égard des victimes. Et puis je suis resté assez pudique dans ce livre et n’ai guère parlé de moi, de mon ressenti…