3 min

Et si Amazon était battu par Gutenberg ?

PUFespresso

Au départ, l’idée est apparue incongrue voire même un peu honteuse. Comme une nouvelle technologie qui viendrait tailler des croupières aux libraires ? Et si les choses étaient au final plus nuancées. Enquête.

En matière de livres, la révolution aura bien lieu. Mais pas celle à laquelle on s’attendait. Il y a encore peu, on imaginait le numérique ne faire qu’une bouchée du papier. A l’instar de la presse, largement dématérialisée, les bouquins devaient trouver leur nouvelle place au rayon des antiquités. C’était sous-estimer les livres, qui ne sont pas des exceptions culturelles pour rien. On n’entretient pas la même relation, avec un livre et un journal. On n’y met pas le même affect. Prêteriez-vous avec le même enthousiasme un fichier numérique qu’un livre ? Nos reliures sont exposées dans les bibliothèques de nos intérieurs tels des objets de fierté ; un fichier numérique demeure enfermé dans un de nos dossiers de l’onglet « Documents » dans nos ordinateurs. Et lorsque nos livres prennent trop de place, nous essayons de les refiler de main à main ou, au pire, nous l’abandonnons sur une marche, déposés dans l’escalier de notre immeuble, dans l’espoir qu’ils soient recueillis par un autre lecteur.

Côté pile, le livre est donc protégé par une forme de sacralité. Côté face, les avantages du numérique s’avèrent moins décisifs qu’escomptés. De l’espace gagné dans son sac ? Franchement, un livre de poche a un poids trop négligeable pour être rédhibitoire. Le prix ? Un livre de poche coûte, bien souvent, moins cher qu’un fichier. Ajoutez à cela de fastidieuses incompatibilités entre des fichiers numériques et certaines liseuses et vous obtenez un chiffre choc : 3%. Il s’agit là de la part du chiffre d’affaires des éditeurs français tiré par les livres numériques sur le marché grand public. Même aux Etats-Unis, pourtant technophiles, cette part piétine.

La machine qui pourrait armer les libraires face au mastodonte Amazon

Le papier étonne par sa résistance, et certaines start-up se sont engouffrées dans ce constat. Parmi elles, Orséry a misé sur les imprimantes à livres. Imaginez une immense machine qui imprimerait un livre, uniquement à votre demande, en seulement 10 minutes. L’intérêt ? « C’est quand même con que des œuvres existent, mais ne soient plus disponibles, regrettent Thomas Jalageas, libraire à Paris chez Les cahiers de Colette. Dans ma librairie, on trouve 12 000 livres disponibles. Si vous souhaitez un livre qui ne figure pas dans la librairie, je peux le commander et vous le fournir sous quelques jours. Sauf s’il est épuisé. Et il ne se passe pas un jour sans que l’on me demande un livre épuisé ». Epuisé et donc introuvable. Il faut dire que le potentiel livresque est gigantesque.

Un million : c’est le nombre de livres déposés à la Bibliothèque Nationale de France. Ce dépôt légal, obligatoire pour tous les nouveaux livres publiés, existe depuis François 1er. Or, seule la moitié d’entre eux est encore trouvable. « Les éditions 10-18 qui disposent d’une grande richesse de livres étrangers ont un catalogue épuisé aux trois quarts”, illustre Thomas . Et le libraire de nous citer la liste des Goncourt et des Nobel. Theodor Mommsen,  Władysław Stanisław Reymont, Léon Frapié, Guy Mazeline, etc. autant d’auteurs dont les œuvres littéraires ont fait date. Mais qui sont aujourd’hui tombés dans l’oubli. Pour se les procurer, il faut comme on dit se lever de bonne heure : jamais un éditeur ne va en tirer plusieurs centaines d’exemplaires, de crainte de ne pas réussir à en écouler le stock.

Et si les libraires s’équipaient d’une machine à imprimer ? En effet, cette machine à imprimer imaginée par Orséry bouleverse le modèle en faisant entrer le livre dans une économie du prototype ; les impressions se font désormais en fonction de la demande. Plusieurs éditeurs ont commencé à s’en équiper : aussi rare soit-il, dès lors que le livre est numérisé, il est possible de l’imprimer et de l’expédier au lecteur dans un délai de 7 jours (contre 4 s’il est déjà en stock chez le fournisseur).

Ernest Mag L Espresso Book Machine Elle Imprime Votre Livre A La Demande! Width1024L’étape suivante serait que ce soit carrément les librairies qui se dotent de cette machine. Son volume et son prix y font, pour l’heure, réfléchir à deux fois. Attentistes mais attentifs, les libraires lorgnent sur la librairie des PUF. Située dans le Quartier Latin de Paris, celle-ci a installé l’ « Espresso Book Machine ». Tous les exemplaires des « Que sais-je » et autres ouvrages de la maison, actuels ou oubliés, y sont imprimables. Seule une librairie adossée à une maison d’édition pouvait avoir les reins suffisamment solides pour se procurer cette immense machine. Sur place, le livre demandé est imprimé, découpé et relié. Le livre sorti tout neuf de la machine, sa différence avec une impression traditionnelle est indécelable.

Un jour, on assistera peut-être à un regroupement des libraires d’un même quartier pour se doter de telles machines. Les libraires disposeraient alors d’une flèche supplémentaire face à Amazon, qui ne sait quant à lui pas fabriquer des livres. « L’impression à la commande va créer une vraie dynamique, notamment pour les libraires qui pourront concurrencer Amazon ! », confie Olivier Bétourné, PDG des éditions du Seuil. Des libraires devenus imprimeurs ? C’est tout le paradoxe de cette révolution en cours : on revient aux origines de Gutenberg lorsque ces deux professions n’en formaient alors qu’une seule…

Laisser un commentaire